Proche-Orient : les dominos de la paix

Du massacre d'Hébron au retour de Yasser Arafat à Gaza et à la signature du traité israélo-jordanien en octobre, l'année 1994 sur le front de la paix au Proche-Orient est faite d'une succession de crises et de brusques coups d'accélérateur. Seule est constante, au-delà des durcissements « stratégiques » et des coups de fièvre conjoncturels, la détermination des négociateurs à aller de l'avant.

Le même schéma cyclique rythme une évolution en dents de scie : chaque fois qu'un progrès est enregistré, les opposants de tous bords marquent leur refus par une recrudescence de la violence ; l'inquiétude monte, mais vient à son tour dynamiser le processus par le sentiment d'urgence qu'elle ravive. Car c'est bien en remportant cette course de vitesse que la dynamique de paix l'emportera.

La tuerie d'Hébron et ses conséquences

Le premier coup dur sérieusement porté au processus de paix sera le massacre d'Hébron, le 25 février. Faisant irruption à l'heure de la prière des musulmans dans la mosquée d'Ibrahim, à l'intérieur du caveau des patriarches, un colon israélien d'origine américaine du village de Kyriat-Arba et membre du mouvement raciste Kach, le Dr Baruch Goldstein, mitraille la foule des fidèles, tuant 52 personnes. L'événement survient alors que les pourparlers piétinent depuis quelque temps entre les délégations israélienne et palestinienne, achoppant essentiellement sur deux questions : la superficie de l'enclave de Jéricho et le problème du contrôle de la sécurité frontalière des futurs territoires autonomes. La dernière rencontre bilatérale s'était achevée, début février, au Caire, sur un accord partiel largement favorable à Israël, et les Palestiniens avaient encore du mal à avaler la pilule. Le massacre d'Hébron offre à ceux-ci l'occasion de renverser la vapeur et de hausser les enchères. Tandis que le Fatah appelle à une rupture de la trêve dans les actions militaires contre l'occupant, Arafat exige des garanties « sérieuses » comme condition à la reprise du dialogue. De son côté, Yitzhak Rabin renâcle toujours à aborder l'épineuse question des colonies de peuplement juif dans les territoires appelés à devenir autonomes. Et tous deux se retrouvent harcelés par leurs oppositions respectives auxquelles l'horreur du drame et la légitime émotion qu'il suscite apportent autant de vigueur que d'arguments nouveaux. Sur le terrain, le cycle familier de la violence et de la répression militaire est réenclenché. Celui des représailles aussi : celles promises par le mouvement islamiste palestinien Hamas se concrétisent par des attentats en Israël, les 6, 7 et 13 avril.

Passé le premier mouvement de stupeur, le drame d'Hébron va toutefois servir de catalyseur, dans la mesure où il incite les négociateurs à hâter le pas. Un premier geste de déblocage consistera pour Israël à prouver sa volonté de paix en prenant finalement la décision de désarmer les colons « dangereux », mais, surtout, en interdisant les deux mouvements extrémistes antiarabes, le Kach et le Kahane Haï.

Vers l'autonomie : une mise en place par paliers

Le 4 mai, l'accord de septembre 1993 cesse d'être « de papier » seulement : réunis une nouvelle fois au Caire, Rabin et Arafat signent enfin l'accord final sur les modalités de l'autonomie à Gaza et à Jéricho. Dans les jours suivants, l'armée israélienne amorce son retrait de ces territoires au profit de la police palestinienne, et des observateurs internationaux, qu'Arafat a réussi à obtenir dans la foulée de réclamations post-Hébron, se déploient. Des transferts d'autorité civile se font parallèlement, dans différents domaines. Avec près de 5 mois de retard, le compte à rebours peut commencer vers le statut de la Cisjordanie et de la bande de Gaza.

Le 29 août, une nouvelle étape est franchie avec la signature d'un accord prévoyant un transfert limité de pouvoirs administratifs, que l'autorité palestinienne pourra désormais exercer sur les habitants de la Cisjordanie vivant toujours sous occupation militaire israélienne. Sur les 30 pouvoirs civils qu'Israël détenait dans les territoires occupés, 6 sont dévolus aux Palestiniens : l'éducation, la santé, les affaires sociales, la jeunesse et les sports, les impôts, le tourisme.