Histoire : la France rejointe par son passé

En présentant au château de Langeais, du 15 mars au 12 juin 1994, une exposition sur le thème Le dictionnaire de l'Académie française, 1694-1994 et en consacrant le 26 mai une séance publique à la commémoration du tricentenaire de la première édition de ses deux volumes et de leur remise au roi le 26 août 1694, l'Institut de France célèbre une étape décisive de l'histoire de l'unification linguistique de la nation française. Cet événement fondateur est pourtant resté inaperçu tant le tintamarre de la « guerre franco-française » a occupé la scène médiatique. La Révolution, l'affaire Dreyfus et surtout la Seconde Guerre mondiale ont continué de mobiliser les consciences.

Le bicentenaire de la Terreur : le cas Robespierre

Pour la cinquième année consécutive, la France commémore un bicentenaire révolutionnaire qui continue à diviser les historiens. L'année 1794, c'est la fin de la guerre de Vendée, « une guerre ordinaire » selon Patrick Leclercq, une guerre menée à son terme par un « criminel de guerre », Turreau, selon Jean-Clément Martin, et qui a pris les formes d'une guerre d'extermination pour Alain Gérard (l'Histoire, no 176, avril 1994, p. 84 à 93). 1794, c'est également l'année de la fête de l'Être Suprême (8 juin), de la Grande Terreur (loi du 22 prairial, an II [10 juin]), du 9 thermidor, an II (27 juillet), c'est-à-dire l'année de Robespierre, l'homme qui eut « l'intuition très sûre [...] dès le début, de la puissance irrésistible du torrent révolutionnaire » selon Patrice Guenitirey, mais pour qui Pierre Chaunu « n'éprouve que de la répulsion, pour tout ce qu'il a représenté, pour le pouvoir terroriste qu'il a exercé, que rien n'excuse ». (l'Histoire, no 177, mai 1994, p. 36 à 45).

Le centenaire de l'affaire Dreyfus : le feu sous la cendre

Incarcéré le 15 octobre 1894, condamné dès le 12 décembre à la déportation à vie sans que la défense ait eu accès au dossier de l'accusation, le capitaine Albert Dreyfus n'a été réhabilité et réintégré dans l'armée, avec promotion au grade supérieur, que les 12 et 13 juillet 1906. Après avoir longuement et passionnément divisé la France entre antidreyfusards, si souvent antisémites, et dreyfusards, qui refusaient de sacrifier la liberté d'un homme et la recherche de la vérité à l'honneur de l'armée, « l'Affaire » paraissait définitivement close, magistrats et historiens ayant depuis bientôt un siècle conclu à l'innocence de celui qui en avait été et le héros et la victime. Pourtant, en publiant le 31 janvier 1994 une note consacrée à « l'Affaire Dreyfus » dans l'hebdomadaire de l'armée « Sirpa Actualité », le Service historique de l'armée de terre (SHAT) remet en cause, de manière détournée, le fondement historique de l'innocence de Dreyfus. Pour le moins maladroit et visiblement mal informé puisqu'il prénomme « Albert » et « Lucy » ceux qui étaient en réalité Alfred et Lucie Dreyfus, l'auteur de cette note n'est autre que le colonel Paul Gaujac, chef du SHAT. Informé par le quotidien Libération du 5 février de l'affirmation dubitative assez étonnante par laquelle ce dernier conclut son article : « Aujourd'hui l'innocence de Dreyfus est la thèse généralement admise par les historiens... », le ministre de la Défense François Léotard limoge aussitôt, et sans l'entendre, l'officier coupable d'une analyse tendancieuse assortie d'erreurs et d'inexactitudes historiques, faute intolérable alors que de nombreux membres de l'armée s'efforçaient d'obtenir du ministre de la Défense l'annulation de l'exposition L'affaire Dreyfus et le tournant du siècle, organisée par la BDIC de Nanterre dans l'enceinte des Invalides.

Cinquante ans après, un procès pour l'histoire

Recherché par la justice depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, condamné six fois, dont deux à la peine de mort, entre le 23 mai et le 3 novembre 1949, amnistié par un décret présidentiel signé par Georges Pompidou le 23 novembre 1971, bénéficiant en outre d'un non-lieu prononcé le 18 avril 1992 par la Chambre d'accusation de Paris, Paul Touvier, l'ancien chef du service de la milice de Lyon, est finalement traduit du 17 mars au 20 avril 1994 devant la cour d'assises de Versailles pour avoir commis un crime imprescriptible contre l'humanité, le seul pour lequel il pouvait être de nouveau inculpé : l'exécution le 29 juin 1944 des 7 otages juifs de Rillieux-la-Pape, en représailles de la mort de Philippe Henriot, abattu la veille par des résistants.