Journal de l'année Édition 1994 1994Éd. 1994

La publicité retrouve ses bases

Nostalgie

Le 1er octobre 1968 à 19 h 55, la télévision diffusait sa première publicité. Vingt-cinq ans plus tard, pour fêter l'événement, Boursin s'offre l'intégralité de l'écran publicitaire de la première chaîne et repasse, entre autres, son spot de 1968 où le comédien Jacques Duby citait dix-huit fois la marque en trente secondes.

Pourtant, les publicitaires n'avaient pas le cœur à la fête. Certains d'entre eux se demandaient même si l'âge d'or n'était pas derrière eux, tellement 1993 aura bouleversé la profession.

Tout d'abord, le métier a perdu celui qui était à la fois son poil à gratter et son phare. Philippe Michel, fondateur et patron de CLM/BBDO, est mort d'une crise cardiaque en plein été. Charismatique, il avait formé toute une génération de jeunes créatifs dont Étienne Chatilliez, le réalisateur de La vie est un long fleuve tranquille. Il laissera les traces d'une publicité pleine de bonnes idées souvent drôles et provocantes... Il suffit de se souvenir de la fameuse Myriam qui, pour l'afficheur Avenir, enlevait le « haut » puis le « bas » pour tenir ses promesses ou du « Buvez, éliminez » de Vittel.

Par ailleurs, la crise économique impose de nouvelles règles du jeu. Les gens achètent moins et, hormis quelques produits « sacrifices » où l'on choisit ce qu'il y a de mieux, le prix devient de plus en plus déterminant. Une bonne image de marque ne suffit plus pour donner envie d'acheter. La question qui se pose est de savoir si, une fois la récession stoppée, la marque retrouvera tout son pouvoir d'attraction ou si l'on assiste à un changement de comportements durable.

La communication a dû s'adapter à cette période ardue et, dans sa dernière interview à Stratégies, Philippe Michel expliquait bien le tournant qu'avait pris la publicité. « La création est toujours l'obsession de l'agence, disait-il, mais c'est la création d'un effet. Actuellement notre ambition est de vendre alors qu'auparavant nous étions obsédés par la création d'une image ou d'un slogan. » Face au scepticisme des annonceurs, le leitmotiv de la profession est « efficacité ».

Optimisme : « Quand reviendrons-nous au bon vieux temps des “Vivement demain”, des “Au secours, la droite revient”, des “Oui à la France qui gagne”, qui sont autant de symboles de vitalité et d'optimisme ? Notre pays en aurait pourtant bien besoin dans cette période sans espérances. À vouloir éliminer le rêve, on arrive à tuer le rêveur ! » dit Bernard Brochand, de DDB, dans une interview à CB News, s'alarmant devant la pauvreté de la campagne électorale et la restriction par la législation de la publicité politique.

Baisse : L'Association des agences conseils en communication prévoit une baisse de 10 % de la marge bénéficiaire des agences de publicité en 1993 : « un événement sans aucun précédent, même au plus fort du choc pétrolier de 1973-1974 ». Ces chiffres expliquent la baisse des effectifs : 800 emplois auront disparu cette année selon l'AACC.

Burrowing : Après le « cocooning », le « burrowing », affirme Faith Popcorn, la gourou américaine du marketing. « Burrow » signifie « creuser pour se terrer » : « le consommateur se comporte comme un petit animal qui creuse son trou pour l'hiver. Il achète uniquement le matériel qui permet de subsister jusqu'à ce que l'environnement change. » En France, on parle de « décession », compression de dépression et de récession.

Refonte

C'est dans ce contexte que l'on assiste à une refonte totale des agences de publicité, d'autant plus brutale que la loi Sapin qui réorganise le mode de financement du secteur de la communication est entrée en application au mois d'avril. « Un seul coupable, la loi Sapin, imbécile et scélérate, qui vient briser les comptes d'exploitation des agences et des médias », vitupère Maurice Lévy, le patron de Publicis, qui a obtenu par référendum l'autorisation de ses employés de baisser les salaires pour ne pas procéder à des licenciements. Jean Miot, président de la Fédération nationale de la presse française, déjà atterré par les effets de la loi Evin qui, depuis le 1er janvier, prive les magazines des ressources publicitaires liées au tabac, est tout aussi critique : « Je n'accuse pas la loi Sapin d'avoir provoqué la récession mais d'aggraver la situation. » L'hécatombe est telle que CB News, l'hebdomadaire de Christian Blachas, de Culture Pub, a organisé le 15 juin « la Nuit des 500 boulots », une fête destinée à récolter des fonds pour permettre à des chômeurs de la communication de retrouver un emploi.

FCA !

L'agence que Jean Feldman avait créé il y a 27 ans, et qui était devenue le 4e réseau français, est rachetée par Publicis. L'agence de Maurice Lévy consolide ainsi sa position de 2e groupe de communication en Europe.

Création

Si, du point de vue des affaires, l'année est franchement mauvaise, paradoxalement elle se révèle être un bon millésime côté création. On entend souvent dire que la publicité est le meilleur reflet de son époque. Quelques films suffisent une nouvelle fois à prouver cet adage.