Portraits politiques

Bernard Kouchner

« Le cocktail Kouchner : un tiers-mondiste, deux tiers mondain ». Les cyniques ont de l'humour faute d'avoir du cœur quand ils s'attaquent à l'ange gardien de l'esprit de générosité soixante-huitard. Qu'importe ! À 53 ans, ce médecin fils de médecin de la banlieue parisienne continue depuis deux décennies de vouloir réveiller la conscience mondiale et de soigner, envers et contre tous, les peuples opprimés.

L'inventeur des « french doctors », ces aventuriers du monde moderne, mi-humanistes, mi-Cyranos, a commencé son parcours dans les rangs de l'extrême gauche, au sein de l'Union des étudiants communistes. Puis, après un passage par la Croix-Rouge, ce fut en 1971 la création de Médecins sans frontières et, en 1979, de Médecins du monde. Petit à petit, Kouchner allait lancer une nouvelle idée, iconoclaste, le droit d'ingérence, c'est-à-dire le droit, non reconnu par les instances internationales, d'intervenir contre l'avis d'un État quand celui-ci s'obstine à persécuter ses habitants.

Médias

Cette volonté d'action permanente, Kouchner la façonne à coups de médias. Voyageur infatigable, il n'oublie jamais les photographes et les caméras. À ceux qui le lui reprochent, il rétorque que c'est la loi du tapage médiatique. Et il sait de quoi il parle, lui qui épousera Christine Ockrent.

Ministre

En juin 1988, il est nommé secrétaire d'État à l'Action humanitaire dans le gouvernement Rocard avant d'accéder, en avril 1992, à la tâche écrasante du ministère de la Santé et de l'Action humanitaire : en quelques mois, on le verra ainsi annoncer la transformation du système de transfusion sanguine, échapper de près à la mort au Kurdistan, accompagner François Mitterrand à Sarajevo et apostropher le monde entier auprès d'enfants somaliens en train de mourir.

Arrivé aux sommets du pouvoir, le « french doctor » en chef est resté fidèle à lui-même. Beaucoup pensent qu'un boulevard politique s'ouvre devant lui, à commencer par un poste de Haut-Commissaire de l'ONU aux Réfugiés. De toute façon, le vibrionnant docteur Kouchner ne sera jamais un politique de la vieille école ni un froid technocrate façon ENA.

Patricia Scott-Dunwoodie

René Monory

Dans sa bonne ville de Loudun et dans son département de la Vienne, on l'a surnommé avec respect « le shérif », en raison de son caractère bien... trempé.

Rapports de force

À 69 ans, le 2 octobre dernier, René Monory est devenu le deuxième personnage de l'État. Il a succédé, au terme de 24 ans de règne, à Alain Poher à la présidence du Sénat. Une élection qui, au-delà du succès personnel d'un homme, symbolise la cohésion retrouvée de la mouvance UDF au Palais du Luxembourg. Éclatée en trois groupes distincts, minée par des divisions internes et de multiples ambitions, l'UDF, pour contrer la candidature du RPR Charles Pasqua, a su, pour la première fois depuis longtemps, refaire son unité en organisant des primaires en son sein. En remportant ces primaires et en s'imposant au premier tour face au sénateur des Hauts-de-Seine, René Monory – et il le sait – incarne la volonté de l'UDF de rééquilibrer à son profit le rapport de force dans l'opposition.

C'est un parcours exemplaire pour cet autodidacte à la stature imposante et au centrisme atypique. Petit garagiste devenu ministre de l'Économie dans le troisième gouvernement de Raymond Barre puis, quelques années plus tard, ministre de l'Éducation nationale dans l'équipe de Jacques Chirac au temps de la cohabitation, le président du conseil général de la Vienne s'est toujours voulu le champion du pragmatisme et du bon sens populaire en politique. Grand argentier de France, il avouait avec délectation « n'avoir jamais ouvert un livre d'économie ».

Élu maire de Loudun, en 1959, pour « réveiller », comme il dit, sa ville natale, le jeune élu sera remarqué par Pierre Abelin. Monory sera donc centriste. « À l'époque, confie-t-il aujourd'hui, je n'avais pas d'idées très arrêtées en matière politique. » Sénateur de la Vienne en 1968 et, depuis cette date, toujours réélu, vice-président du CDS, René Monory, « vrai-faux » débonnaire, restera fidèle à cette famille de pensée. Même si, pour certains, il est avant tout « monoryste ». Concepteur du Futuroscope, une cité du futur, aux portes de Poitiers, le nouveau président du Sénat a l'ambition de moderniser la Haute Assemblée. Tout en se préparant, en bon politique qu'il est, à assumer – pourquoi pas ? –, un éventuel intérim à la tète de l'État.