Japon : le modèle à l'épreuve

L'année 1992 aura été pour le Japon celle des incertitudes : incertitude sur l'avenir de l'économie, entrée dans une phase de récession dont on mesure mal la durée et l'ampleur, incertitude sur la place que le pays peut occuper dans le nouvel ordre mondial. Des incertitudes d'autant plus ressenties qu'au cours de cette première année du cabinet Miyazawa (formé en octobre 1991), le pouvoir politique, empêtré dans un scandale qui a entamé sa crédibilité, a paru gérer les affaires courantes plutôt que prendre véritablement des initiatives.

Ralentissement de l'activité économique

Ce n'est qu'en mars que le gouvernement a admis que l'économie était entrée en récession, alors que, depuis plusieurs mois, les instituts de recherches exprimaient leur pessimisme. Ralentissement de la croissance (qui ne devrait pas dépasser les 2 %), faiblesse de l'investissement et de la consommation, crise du système bancaire, fortement affecté par le dégonflement de la bulle financière qu'alimentent les spéculations foncières et boursières de la fin de la décennie précédente : les lendemains de banquet sont durs pour un pays qui sort d'une période d'expansion à tous points de vue exceptionnelle (le « boom Heisei », nom de l'ère du nouvel empereur).

La politique d'assainissement poursuivie par les autorités financières afin de « refroidir » une économie en état de surchauffe s'est, notamment, traduite au cours de l'été par une chute vertigineuse de l'indice boursier qui atteignit son niveau le plus bas (au-dessous des 15 000 yens). Cette dégringolade incita le gouvernement à annoncer un plan de relance de grande ampleur (l'équivalent de 400 milliards de francs), soit presque 2 % du PNB en 1991. Mais en fin d'année, les analystes estimaient que la reprise risquait de tarder à se faire sentir et que le creux de la vague ne serait sans doute atteint qu'au milieu de 1993. Les autorités persistaient cependant à estimer que ce ralentissement est la conséquence inévitable d'un ajustement indispensable.

En dépit du caractère préoccupant de ce ralentissement de l'activité économique, qui s'est traduit par des chutes dans les profits des entreprises, le Japon semblait néanmoins en assez bonne position pour redéployer son appareil productif. Une restructuration qui pourrait, néanmoins, s'avérer douloureuse en terme social (augmentation des demandeurs d'emplois). Les éléments principaux de la croissance au cours du passé récent (consommation intérieure et investissements des entreprises) ne répondant plus à l'appel, la croissance devrait s'appuyer principalement sur l'investissement public et les marchés extérieurs. Le Japon a d'ailleurs continué à enregistrer de solides excédents commerciaux sur ses partenaires, qui risquent de raviver les tensions avec les États-Unis. De ce point de vue, l'arrivée à la Maison-Blanche d'un démocrate, M. Clinton, a été perçue à Tokyo avec une certaine appréhension.

Crise des banques

Les mauvaises créances des vingt et une plus grandes banques du Japon s'élevaient, officiellement, à 12 300 milliards de yens dont 4 000 milliards seraient irrécupérables. Selon des estimations privées mais couramment admises, l'ensemble des mauvaises créances se chiffrerait en réalité à 30 000 milliards de yens. L'Association nationale des banques a annoncé la création d'une société ad hoc destinée à racheter aux établissements financiers ces mauvaises créances garanties par des biens fonciers.

Excédent commercial

Au cours des dix premiers mois de 1992, l'excédent commercial du Japon a atteint 88,3 milliards de dollars, surpassant le record de 1987. À ce rythme, il devrait dépasser les 100 milliards de dollars au cours de l'ensemble de l'année. L'aggravation du déséquilibre est notamment sensible dans le cas des échanges avec l'Europe et l'Asie.

Faillites

Depuis 1990, le nombre de faillites a été multiplié par 2,2 et le montant des dettes par 54. La spéculation immobilière constitue la première cause des faillites.

Rôle international

Les Japonais craignent aussi que Washington n'exerce des pressions renforcées pour qu'ils assument une responsabilité accrue dans l'équilibre mondial. Or, Tokyo ne fait que sortir, encore timidement, de son attentisme traditionnel. Une page de l'histoire moderne japonaise a été tournée, le 15 juin, lorsque la Diète a finalement adopté, malgré l'opposition des partis de gauche, la loi permettant au Japon d'envoyer des troupes à l'étranger dans le cadre des missions de paix des Nations unies. Problème pendant depuis la guerre du Golfe, à laquelle le Japon n'avait participé que financièrement, cette nouvelle orientation est significative d'un changement de cap par rapport à la voie suivie depuis 1945 : il s'agit de la seconde remise en cause, après la création des Forces d'autodéfense au début des années 1950, de l'article 9 de la Constitution par lequel le Japon renonce à la force comme moyen de résolution des conflits.