Journal de l'année Édition 1993 1993Éd. 1993

Corées : la réunification en pointillé

Corée du Nord

Depuis le début de l'année, de nombreuses rumeurs annonçaient que la grande cérémonie organisée le 15 avril à Pyongyang, à l'occasion des 80 ans du leader Kim Il-sung, serait marquée par un transfert des pouvoirs du patriarche à son fils Kim Jong II. Il n'en a rien été, même si « l'héritier désigné » a été nommé chef d'État, le 6 avril. Le pouvoir absolu de ce régime « ultracommuniste » et totalitaire reste depuis près de 50 ans aux mains de Kim Il-sung. Le report de l'intronisation de Kim Jong II laisse supposer que les oppositions à la mise en place d'une dynastie sont actuellement très fortes, d'autant que la personnalité du fils du grand leader semble, d'après les rares témoignages, des plus inquiétantes (autoritaire, mégalomane et fantasque).

Pendant ce temps, la situation économique ne cesse de se dégrader. Les quelques voyageurs chinois autorisés à traverser la province pour commercer font état « d'une pauvreté qui dépasse l'imagination ». Toutes les rations alimentaires auraient été revues à la baisse, les magasins sont désespérément vides, de grands panneaux dans les campagnes incitent les habitants « à ne faire qu'un repas par jour », le plus souvent composé d'une soupe claire agrémentée de riz et de quelques kimchi (chou ou radis fermenté dans du piment).

Isolement

La Corée du Nord a, en effet, atteint cette année son plus grand degré d'isolement. Lâchée l'année dernière par son ancienne alliée, l'ex-Union soviétique, qui a reconnu le régime du Sud et traverse, depuis lors, trop de difficultés elle-même pour pouvoir lui venir en aide, la Corée du Nord a dû subir l'humiliation, cette année, de la normalisation des relations de son dernier soutien (la Chine) avec son ennemie depuis 40 ans, la Corée du Sud. Poussée par la nécessité d'obtenir des investissements étrangers et une aide internationale, la Corée du Nord a donc accédé aux demandes pressantes des États-Unis, du Japon et de la Corée du Sud concernant l'inspection de ses installations nucléaires par l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique). Les inspecteurs ont répertorié 13 installations, dont 3 équipées de réacteurs et un site de retraitement du plutonium. Dans l'attente de plus amples contrôles, la polémique continue à propos de la finalité de ces installations.

Corée du Sud

Les élections législatives du mois de mars, marquées par le recul du parti au pouvoir (Parti libéral démocrate, ou PLD), qui a perdu la majorité, ont également signifié la fin des partis géants et attrape-tout sur le modèle japonais. Dans la perspective des élections présidentielles du mois de décembre, la Corée du Sud s'est engagée largement cette année sur la voie du multipartisme. Un nouveau parti, le PUN (Parti pour l'unification nationale) a été créé, au mois de janvier, par le multimilliardaire Chung Ju Yung, fondateur de Hyundai, le plus grand groupe sud-coréen (10 % du PNB). Deux mois plus tard, à l'occasion des élections législatives, le PUN raflait déjà 32 des 299 sièges au Parlement.

Sur le plan économique, la Corée du Sud a tenté de modifier cette année son système, traditionnellement basé sur une politique de bas salaires, de forte croissance et de protectionnisme. L'augmentation des revendications salariales (les salaires augmentent en moyenne de 17 % par an depuis 1987), le développement des échanges et des investissements étrangers, ainsi que l'augmentation de la dette extérieure (40 milliards de dollars US) ont conduit les autorités à se fixer un triple objectif, appelé « cible des trois sept », autrement dit, 7 % de croissance (8,4 % actuellement), 7 % d'inflation (contre 10 %) et 7 milliards de dollars US de déficit commercial (10 milliards en 1991). La Corée du Sud a par ailleurs continué à délocaliser (principalement en Chine et au Viêt-nam) ainsi qu'à investir à l'étranger.

Réunification

Si les premiers mois de l'année ont été marqués par une marche forcée vers la réunification et par une multiplication des accords Nord-Sud (déclaration conjointe sur la dénucléarisation de la péninsule en décembre 1991 ; pacte de non-agression en février 1992, accord sur l'inspection mutuelle des sites nucléaires en mars...), le processus s'est progressivement ralenti avec l'été. Trois raisons essentielles expliquent cette interruption. D'une part, la résurgence en Corée du Nord d'un sentiment de complot des capitalistes contre « la citadelle assiégée » que représente le régime de Pyongyang. D'autre part, une inquiétude du Sud face au coût estimé de la réunification (de 200 à 500 milliards de dollars US sur 10 ans, soit 3 à 4 % du PNB, sommes que la Corée du Sud ne pourrait dégager seule) et face aux problèmes sociaux équivalents à ceux que connaît actuellement l'Allemagne, récemment réunifiée. Enfin, une affaire d'espionnage digne des plus belles heures de la guerre froide. Séoul aurait démantelé un énorme réseau d'espions nord-coréens, dirigé par Mme Li Son Sil, l'une des principales dignitaires du régime de Pyongyang. Les pourparlers Nord-Sud ont néanmoins repris début décembre.

Caroline Puel