Cambodge : le pari perdu

Lors de la signature des accords de Paris sur le Cambodge, en octobre 1991, l'espoir international était immense de restaurer la paix dans ce pays déchiré par plus de vingt ans de guerre. Un an plus tard, un constat d'échec s'impose.

Blocage du plan de paix

Les accords de Paris du 23 octobre 1991 prévoyaient un processus de paix réparti en plusieurs phases et étendu sur 18 mois. Travail préparatoire d'abord assuré par la MIPRONUC (Mission préparatoire de l'opération des Nations unies au Cambodge), puis déploiement de l'APRONUC (Administration provisoire des Nations unies au Cambodge), qui devait procéder progressivement au déminage puis au cantonnement et au désarmement des factions avant d'entamer le travail préélectoral et la surveillance de la campagne, le tout devant déboucher sur des élections en mai 1993.

Les quatre premiers mois d'activité de la MIPRONUC (décembre 1991-mars 1992) ont fait naître les plus grands espoirs au sein de la population cambodgienne. À la tête d'une simple équipe de 300 hommes, le général Loridon (un Français) a entamé le déminage du territoire (mais cette opération, par son ampleur, a pris beaucoup de retard sur le calendrier). La MIPRONUC a surtout réussi à ouvrir le dialogue avec les quatre factions cambodgiennes : les gouvernementaux, dirigés par le Premier ministre Hun Sen (parti du peuple cambodgien, PPC), les sihanoukistes du FUNCINPEC (dirigés par le prince Ranahridd, fils de l'ancien monarque cambodgien), les nationalistes (FNLPK, maintenant éclatés en deux branches) et les Khmers rouges de Pol Pot représentés par Khieu Samphan, mouvement de guérilla ultracommuniste qui cherche à reprendre le pouvoir.

Le transfert des attributions de la MIPRONUC à l'APRONUC a eu lieu fin avril, alors que le gros du contingent de « Bérets bleus » (20 000 hommes) commençait à arriver au Cambodge, supervisé par un Australien, le général Sanderson, l'ensemble de l'opération se trouvant sous la direction d'un Japonais, Yasushi Akashi. Pendant toute cette phase de mise en place des structures de l'ONU, le plan de paix s'est quasiment déroulé comme prévu. Le tournant a lieu le 30 mai lorsque le général Sanderson et Yasushi Akashi, en tournée d'inspection près de Pai Lin, sont bloqués sur la route par des Khmers rouges. Les responsables de l'ONU préfèrent rebrousser chemin plutôt que de forcer le passage. Le 13 juin, les hommes de Pol Pot font savoir qu'ils refusent d'appliquer la « phase deux » du plan de paix, prévoyant le cantonnement des hommes et leur désarmement à 70 %.

Avec l'été, les Khmers rouges avancent une double revendication, préalable à leur réintégration dans le plan de paix : la vérification par l'ONU du départ effectif de toutes les troupes vietnamiennes du sol cambodgien (officiellement retirées depuis septembre 1989) et la neutralité de l'APRONUC (accusée de soutenir le régime de Phnom Penh). Les mois passant, les Khmers rouges font de ces deux thèmes leur cheval de bataille, la propagande véhiculée par la radio khmère rouge tentant de réveiller les vieilles haines à rencontre des Vietnamiens implantés au Cambodge (ils seraient actuellement environ un million) et présentant les « Bérets bleus » comme une troupe d'occupation. Ce dernier thème trouve d'autant plus d'écho dans une partie de la population cambodgienne que l'APRONUC révèle, au fil des semaines, de graves dysfonctionnements : lourdeurs bureaucratiques, impuissance des Bérets bleus sur le terrain (leur mandat ne les autorisant pas à mener des actions militaires), attitude parfois très « colonialiste » des soldats de l'ONU, sans oublier les rancœurs des habitants de la capitale face à des différences de niveau de vie presque provocantes.

La recherche d'une solution

Face à ce blocage des Khmers rouges et à l'enlisement du plan de paix, la communauté internationale se mobilise pour tenter de relancer le processus. Les Occidentaux jouent alternativement de la carotte et du bâton avec les Khmers rouges, suspendant l'aide internationale à cette faction (juillet), puis multipliant les médiations (japonaise, chinoise et thaïlandaise notamment, jusqu'à leur échec, fin octobre), organisant un sommet spécial (à Pékin les 7 et 8 novembre), repoussant les ultimatums fixés à leur retour dans le plan de paix (15 novembre puis 31 janvier) et adoptant finalement une résolution, le 30 novembre, dans le cadre du Conseil de sécurité, prévoyant des « mesures » (le terme de « sanction » ayant été éliminé) contre les Khmers rouges, si ces derniers s'opposent à la poursuite du plan de paix au-delà du 31 janvier. Parmi ces « mesures » sont prévus le blocage des avoirs khmers rouges, qui fructifient à la Thai Military Bank, et un embargo sur la zone khmère rouge située à la limite de la frontière thaïlandaise. Mais l'efficacité de ces « mesures » suppose une coopération très étroite de la Thaïlande avec l'ONU, attitude que le gouvernement de Bangkok semble peu disposé à assumer.