Journal de l'année Édition 1993 1993Éd. 1993

Péninsule et Moyen-Orient : les séquelles de la guerre du Golfe

Les séquelles de la guerre du Golfe se sont fait sentir tout au long de l'année dans les États de la péninsule arabique. La question de la démocratisation des États du Golfe a été relancée par la libération du Koweït. Quant au dogme de l'intangibilité des frontières, il a volé en éclats avec l'invasion irakienne.

Le Conseil de coopération du Golfe (CCG), qui rassemble les six monarchies pétrolières de la péninsule Arabique (Arabie Saoudite, Bahreïn, Qatar, Émirats arabes unis, Koweït et Oman), a été créé en mai 1981.

Le pétrole, ressource clé

Le golfe Arabo-Persique concentre 66 % des réserves mondiales prouvées au 1er janvier 1992 (dont 26 % en Arabie Saoudite, 10,1 % en Irak, 9,5 % au Koweït, 9,3 % en Iran), et 27 % de la production mondiale (dont 13,6 % pour l'Arabie Saoudite). Pour surmonter leurs difficultés financières, les États de la région sollicitent de plus en plus les compagnies pétrolières internationales, écartées au début des années 1970.

Péninsule arabique

En octobre 1990, afin d'obtenir le soutien de l'ensemble des Koweïtiens, l'émir Jaber avait promis le retour à la vie parlementaire après la libération du pays. En fait, de retour sur son trône, Cheikh Jaber n'a manifesté aucun empressement à tenir sa promesse. Il a fallu de fortes pressions des États-Unis, afin de tenir compte de l'opinion internationale, pour que, à contrecœur, Cheikh Jaber s'engage à tenir des élections législatives en octobre 1992. Le scrutin a eu lieu le 5 octobre et s'est traduit par une victoire massive de l'opposition, qui a remporté les deux tiers des sièges.

L'exemple koweïtien a été suivi avec inquiétude par l'Arabie Saoudite, pour laquelle les dirigeants ne veulent pas entendre parler d'une monarchie constitutionnelle. Cependant, sous la pression d'un vif mécontentement émanant, d'une part, d'un courant moderniste incarné par les technocrates et les hommes d'affaires et, d'autre part, de la tendance conservatrice des oulémas, le roi Fahd a promis en mars d'instituer, avant la fin de l'année, un Conseil consultatif (Majlis al choura) composé de 60 membres, tous nommés par lui. Ce timide pas vers la modernisation des institutions (l'Arabie Saoudite n'a pas de Constitution) a été bien accueilli à Washington. Du coup, Bahrein, seule monarchie du Conseil de coopération du Golfe à avoir brièvement connu entre 1971 et 1975 une vie parlementaire, a promis à son tour en novembre de mettre en place prochainement un Majlis al choura.

L'exemple yéménite donne aussi des soucis au roi Fahd. Depuis la réunification entre le Nord-Yémen conservateur et le Sud-Yémen marxiste en 1990, le Yémen unifié connaît une liberté politique sans précédent. Plus de 40 partis politiques se sont formés et de très nombreux journaux et magazines ne se privent pas de critiquer le pouvoir en place. La période de transition devait s'achever le 22 novembre par des élections générales multipartites. Durant cette phase, le pouvoir était partagé par le congrès général du peuple (CGP) du président (nordiste) Ali Abdallah Saleh et le parti socialiste yéménite (PSY) du vice-président (sudiste) Ali Salim El Beidh. L'assassinat de plusieurs dirigeants du PSY et la perspective de voir s'achever le partage du pouvoir ont conduit à une vive tension entre le président Saleh et le vice-président El Beidh, qui menaçait de dégénérer en guerre civile, l'armée du Sud et celle du Nord n'ayant pas encore été fusionnées. Mais, début novembre, les deux hommes se sont mis d'accord pour repousser les élections du 27 avril 1993, et, selon toute vraisemblance, pour mettre au point une formule de partage du pouvoir après cette date.

Les oulémas (savants) sont les théologiens musulmans. Ils occupent une place essentielle dans le fonctionnement du régime saoudien. Sur toutes les questions importantes, le roi consulte préalablement le Conseil des oulémas.

Irak

En dépit d'insistantes rumeurs de complots et de tentatives de coup d'État, le président Saddam Hussein se maintient au pouvoir à Bagdad. Son régime ne contrôle plus le Kurdistan, où les partis kurdes ont organisé en mai des élections. Mais les sanctions de l'ONU ne l'ont pas empêché de se lancer dans la répression des rebelles chiites, dans les marais du Sud irakien. Afin d'empêcher Saddam Hussein d'utiliser son aviation contre les chiites, le Conseil de sécurité a interdit en août à l'aviation irakienne de pénétrer au sud du 32e parallèle, comme c'était déjà le cas au nord du 36e parallèle pour protéger les Kurdes. Les inspecteurs des Nations unies, chargés de veiller à la destruction par l'Irak de son potentiel d'armement nucléaire et chimique, ont été l'objet d'attentats et de vexations inspirés par les autorités de Bagdad. Réunies au Kurdistan en octobre, les différentes composantes de l'opposition irakienne ont formé une direction collégiale et se sont prononcées pour un État fédéral.

Irak : le programme nucléaire aurait été réduit « au niveau zéro », selon le chef de la 14 mission d'inspection de l'ONU (septembre). L'élimination aurait été réalisée « non seulement lors des précédentes missions de l'ONU, mais également par l'action des alliés », c'est-à-dire par les bombardements durant la guerre du Golfe.

Saddam Hussein (président de l'Irak) déclare en septembre : « Le complot mené par les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France (...) vise à morceler l'Irak en prétendant protéger nos citoyens chiites. » Il a ajouté : « Ce qu'ils visent, c'est la zone pétrolière dans le sud de l'Irak. »

Iran

Miné par les querelles politiques internes, le régime iranien n'a pas su profiter des opportunités qui s'ouvraient à lui après l'écrasement de l'Irak. Les élections législatives du mois de mai ont été marquées par l'élimination du courant « radical » des proches de l'ancien ministre de l'Intérieur Mohtachemi. À l'époque, la plupart des observateurs étrangers y ont vu une victoire du camp « pragmatique » du président Rafsandjani. En réalité, la suite des événements a montré que la nouvelle Chambre était dominée par les religieux ultraconservateurs se rangeant derrière le Guide de la république islamique, l'ayatollah Khamenei. Ces derniers ont lancé des campagnes contre « l'invasion culturelle occidentale » au moment où Rafsandjani, dont le pouvoir s'étiolait, tentait en vain de convaincre les députés de favoriser le retour des cadres iraniens qui s'étaient exilés pour fuir la révolution, et de favoriser les investissements étrangers en Iran. Dans le même temps, de sérieux troubles dus à la pauvreté éclataient dans plusieurs villes iraniennes, à Chiraz et à Meched en particulier.