Journal de l'année Édition 1993 1993Éd. 1993

Programmes télé : le monde impitoyable des reality shows

Une rentrée musclée

Lorsque, le 25 août, Patrick Le Lay et Etienne Mougeotte présentent la grille de rentrée de TF1, la chaîne leader du paysage audiovisuel français semble n'avoir fait qu'élargir sa carte des recettes éprouvées. Cependant, les deux responsables doivent avant tout répondre à Hervé Bourges. Quelques jours plus tôt, le P-DG d'Antenne 2 et FR3 avait ironisé sur les « tireurs de sonnettes », animateurs vedettes de TF1 ayant fait, durant l'été, des offres de service aux chaînes publiques. Seul Christophe Dechavanne reconnaît avoir rencontré deux fois Hervé Bourges. Sans parvenir à un accord.

En fait, le contentieux concerne surtout le « transfert » de Laurent Cabrol, animateur de « la Nuit des héros », le reality show à succès d'A2, passé à l'ennemi avec armes et bagages. Polémique révélatrice. Les reality shows ont le vent en poupe. Ces reconstitutions de faits réels, réalisées avec un public concerné et actif, valorisent des thèmes particulièrement racoleurs : courage, disparitions, problèmes conjugaux, phénomènes inexpliqués.

Seules nouveautés d'importance sur TF1 : Guillaume Durand se voit offrir deux talk-shows, « Toute la ville en parle », un divertissement au budget faramineux (entre 3 et 4 millions de F par soirée), et « Durand la nuit ». Christophe Dechavanne, lui, abandonne « Ciel mon mardi » en pleine gloire pour la tranche 19-20 h avec « Coucou, c'est nous », décalque acidulé et fourre-tout de son émission précédente.

En face, le regroupement d'Antenne 2 et de FR3 au sein de France Télévision donne naissance le 7 septembre à France 2 et à France 3. Nouveaux logos, habillage plus linéaire, on joue également la continuité : « Fort Boyard », « Bouillon de culture », « Double Jeu », « la Nuit des héros » désormais présentée par l'acteur Michel Creton. Deux transfuges de TF1, François de Closets et Mireille Dumas, apportent « En savoir plus », consacré à l'émission, et « Bas les masques », un reality show déguisé sur « les questions de société », avec une première tapageuse sur l'homosexualité...

Reality show

La multiplication des reality shows, surtout sur TF1, alimenta pour une bonne part la chronique. Bien sûr, entre 1984 et 1986, il y avait eu « Psy Show » sur A2, puis, en 1991, « Perdu de vue », « l'Amour en danger » (TF1) et « la Nuit des héros » (A2). Mais, au mois de mars, trois nouveaux avatars laborieusement calqués sur des modèles américains font irruption : « C'est mon histoire » (FR3), « Mea Culpa » et « La vie continue » (TF1).

La douleur, l'ignorance, la bêtise, soigneusement mises en scène, sous l'alibi de télé-vérité, peuvent indigner l'association « les Pieds dans le PAF », qui dénonce « ce voyeurisme sans foi ni loi », cela n'arrête pas les producteurs, l'Audimat grimpe : « Perdu de vue » totalise 28 % et « l'Amour en danger » 18 % à... 23 heures.

« La “passion d'être soi-même” remplacera-t-elle, à terme, “la passion d'être un autre” ? S'agit-il d'un moment (celui des reality shows) – médiocrissime mais provisoire – de la grande histoire de l'émancipation humaine, qui, même en dents de scie, sécularise les croyances et individualise les hommes depuis des siècles ? » (Serge Daney, in Libération du 2/01/92.)

« Nos nouvelles émissions sont ancrées dans la vie quotidienne et les relations entre les gens : “Perdu de vue”, “l'Amour en danger” font de la télévision un objet d'utilité sociale. Même si la télévision ne doit jamais remplacer l'instituteur ou le psychiatre. » (Étienne Mougeotte, vice-président de TF1, le 14/10/92.)

La culture à la télévision existe aussi en dehors d'Arte : la rentrée 92 est marquée par la création d'une nouvelle émission sur F2, « le Cercle de minuit », animée par Michel Field, et le maintien des autres rendez-vous, « Océaniques » (F3), « Ex-Libris » (TF1). « Caractères » (F3), « Une minute pour lire » (F3) et « Bouillon de culture » (F2).

Menaces sur la culture : le 18 décembre, « Caractères », l'émission de Bernard Rapp, disparaît. Le magazine littéraire qui avait succédé au célèbre « Apostrophes » de Bernard Pivot en septembre 1990 ne faisait plus que 1,7 % d'audience en moyenne (4,1 % de part de marché). L'opinion intellectuelle s'émeut. Jean-Noël Jeanneney, secrétaire d'État à la Communication, trouve la situation « intolérable, inadmissible, insupportable ». Finalement, Bernard Rapp animera une nouvelle émission, intitulée « Jamais sans mon livre », le dimanche à 18 heures sur France 3, tandis que son ancien créneau horaire sera occupé par « Bouillon de culture »... animé par un certain Bernard Pivot.

L'érosion des variétés

Dans cette course sans pitié, on ne plaisante pas. Patrick Sabatier, chouchou des sondages pendant des années, est débarqué sans ménagement après les taux d'écoute décevants de « Si on se disait tout » et « Faites de beaux rêves » les 14 et 24 septembre (11 points de parts de marché perdus en quelques mois). L'étoile de l'animateur vedette avait déjà pâli lors de son inculpation le 18 mars pour complicité d'escroquerie après avoir invité un faux guérisseur, Philippe Gouezh, recherché par la police.