Publicité

Le début de l'année publicitaire a été morose : l'euphorie des années 80 est bel et bien terminée. Suréquipé, surinformé et angoissé, le consommateur n'a plus d'envies. Cette « déconsommation » – terme inventé par les sociologues pour expliquer le phénomène – a obligé les entreprises à reconsidérer leurs politiques de communication. Ayant constaté à l'époque de la guerre du Golfe qu'une pression publicitaire moindre ne handicapait pas toujours les ventes, beaucoup de firmes s'adonnent depuis au « hors média », ces techniques de communication qui ne s'inscrivent pas dans les écrans publicitaires conventionnels. Ainsi, les promotions de toutes sortes, le « couponning » (les annonces avec un coupon à renvoyer), le « mailing » (les prospectus que l'on trouve dans sa boîte aux lettres), mais aussi le « bartering » (un panneau publicitaire qui associe une émission de télévision à une marque) sont les méthodes à l'honneur, parce qu'elles agissent plus rapidement sur la demande que la publicité classique.

Au printemps 92, Bernard Brochand, président français du 39e Festival international du film publicitaire de Cannes, se voulait pourtant optimiste et assurait que « le gros de la crise est maintenant derrière nous ». Il ne pouvait pas prévoir que la publicité allait être dans la ligne de mire d'un gouvernement qui, sans doute, voulait « laver plus blanc » pour se purger des nombreuses affaires sur le financement des partis politiques.

Les investissements publicitaires, en 1992, ont progressé de 7,5 % dans la télévision (soit 1,5 point de mieux que les 6 % de 1991), de 3 % dans la radio, qui avait subi en 1991 une baisse de 5 %, et ont diminué dans la presse de 7,5 % (comme l'année précédente). Claude Matricon, du groupe Information et Publicité, déclare : « Rien n'annonce un retournement de tendance. Toutes les conditions paraissent réunies pour que l'année prochaine soit la continuation des tendances observées cette année. »

« Il y a dix ans, déclare Georges Lecallier, de BSN, quand on passait un message avant le journal de 20 heures, les téléspectateurs étaient captifs sur les deux chaînes existantes, et le zapping n'avait pas droit de cité. Aujourd'hui, la communication est devenue plus complexe. Pour atteindre le consommateur, il faut utiliser des médias très divers, d'où un renchérissement considérable du coût. »

Projet Sapin

Après réception d'un rapport commandé par Pierre Bérégovoy, le ministre de l'Économie et des Finances, Michel Sapin, rédige en trois semaines un projet de loi qui mobilise immédiatement toute la profession contre lui : même Marcel Bleustein-Blanchet, père de la publicité moderne et créateur de Publicis, remonte au créneau, dans un article paru dans le Monde et intitulé « La publicité en danger mortel ».

Le 29 juillet, le projet de loi est présenté au Conseil des ministres et, en un tour de main, publicité devient synonyme de corruption. Un bien grand mot puisqu'elle n'a été associée à aucune affaire politique ces dix dernières années. Pourquoi alors est-elle incriminée ? Tout le problème vient des flux financiers entre les quatre protagonistes du marché publicitaire : les médias qui passent les publicités, les centrales qui achètent en grosse quantité et à bas prix l'espace des médias pour le revendre, les agences qui créent la publicité et les annonceurs qui veulent utiliser au mieux les budgets publicitaires dont ils disposent pour leurs marques. Historiquement, personne n'a jamais su évaluer a priori le juste prix de l'idée stratégique et créative que vend le publicitaire. La règle universellement appliquée consiste, pour les agences, à se faire verser en sus des frais de production, une commission de 15 % sur l'achat d'espace appelée « commission d'agence ». Les médias, alléchés à l'idée de vendre plus d'espace, ont par la suite proposé aux agences et aux centrales qui conseillent leurs annonceurs des remises supplémentaires et confidentielles. Cette « surcommission de préconisation » – qui, par définition, échappe à l'annonceur – constitue aujourd'hui, selon Maurice Levy, président de Publicis, 20 à 40 % des revenus d'une agence et c'est à cette pratique très secrète que s'attaque la loi Sapin.

C'est un Français, Gilbert Gross, qui a fondé en 1969 Carat, la première société au monde spécialisée dans l'achat d'énormes quantités d'espace publicitaire à prix réduit ensuite revendu aux annonceurs. Numéro 1 aujourd'hui, il menace « d'organiser le service de ses clients à partir d'une autre base que Paris » si le projet Sapin passe tel quel.

« Que le support rémunère l'agence n'est conceptuellement pas normal mais opérationnellement opportun », explique Max Coppolani, du groupe Unilever.

« Prenons garde qu'avec les potions amères qu'on lui concocte, le malade ne meure bientôt guéri ! » écrit Marcel Bleustein-Blanchet, de Publicis.

La transparence

Pour punir la profession, le ministre décide dans un premier temps que les honoraires remplaceront commission et surcommission et que les médias factureront directement aux annonceurs. L'argent ne doit plus transiter par les agences ou les centrales, ce qui équivaut à anéantir le poids économique de ce secteur face aux banques, et donc à amputer sa capacité à financer son développement. Ce projet, en fait, nie l'activité productive des agences et les transforme en simples « intermédiaires ».