La clé des mots

« Il faut se fier aux mots ; ils en savent plus que nous sur les choses », écrivait Claude Roy. S'ils expriment la pensée de ceux qui les prononcent, les mots trahissent aussi leur personnalité, leur provenance, leur appartenance familiale, géographique ou culturelle. Ils constituent surtout l'un des plus sûrs révélateurs de l'époque... ou même, parfois, de l'année.

Petit Larousse. Dans l'édition 1993, sont apparus : 63 mots nouveaux, dont autoreverse (retournement automatique de bande), biocarburant, claviériste (musicien utilisant des claviers électroniques), contragestif (qui empêche la nidation de l'œuf), cyanobactérie (algue bleue), DAT (bande magnétique pour l'enregistrement magnétique), écoproduit (produit respectant l'environnement), flashage (photocomposition à partir d'un fichier livré par le client), ghettoïsation, hypertexte (technique de consultation d'une base documentaire), minimalisme, multifonction, national-populisme, négationnisme (doctrine niant le génocide des Juifs par les nazis), pin's, scanner (v.t. : numériser un document à l'aide d'un scanner), suicidant (qui vient de faire une tentative de suicide), world music ; 37 sens et emplois nouveaux, dont balise (informatique), cour (la cour des grands), cosmétique (adj. : une réforme cosmétique), décompensation (effondrement des défenses), dérive (évolution incontrôlable), donne (nouvelle donne), espace (publicitaire), muscler (l'économie), syndrome (le syndrome du Viêt-nam) ; 21 locutions et expressions nouvelles, dont boulot (petit boulot), flux tendu (gestion tendant à vendre les stocks minimaux), pauvre (nouveau pauvre), proximité (de proximité : média, campagne de proximité), société civile (le corps social) et tunnel (le bout du tunnel) ; 27 noms propres, dont Berberova (Nina), Bérégovoy (Pierre), Boutros-Ghali (Boutros), Casarès (Maria), Cresson (Édith), Dehaene (Jean-Luc), Gennes (Pierre-Gilles de), Gréco (Juliette), Kantor (Tadeusz), Milosevic (Slobodan), Trauner (Alexandre) et Wilson (Bob).

Parler jeune :

Giga : L'une des principales tendances du vocabulaire contemporain, et notamment des jeunes, est sans aucun doute la démesure. Il est d'ailleurs significatif d'observer que, dans la société de consommation, les superlatifs ont suivi la taille des magasins. On a ainsi successivement assisté à l'émergence de grand, super, hyper. L'année 1992 est celle de giga. Ainsi, dans la bande dessinée hebdomadaire de Claire Bretécher du Nouvel Observateur, l'adolescente Agrippine a parfois de « gigas coups de vieux », qui la rapprochent inéluctablement de la difficile condition de « biomane » (adulte, parent). À l'origine, le mot « giga » désigne selon le petit Larousse « le préfixe qui, placé devant une unité, la multiplie par un milliard ».

Tout à fait, absolument : Dans une société dominée par les médias, ce sont souvent les chaînes de télévision qui créent les nouvelles expressions. L'année 1992 restera ainsi celle de deux commentateurs de football de TF1, Thierry Roland et Jean-Michel Larqué. Leurs tics de langage, stigmatisés par les Guignols de l'info sur Canal Plus, se retrouvent régulièrement chez les jeunes. « Tout à fait Thierry » ou « Absolument » s'imposent, avec leur connotation superlative.

36-15 J'existe : C'est le cri angoissé que pousse une adolescente dans un sketch de Valérie Lemercier. À l'ère du Minitel, de l'individualisme triomphant, des « réalités virtuelles », comment prouver et imposer son existence ? Cette interrogation se trouve véritablement au centre de l'année 1992, comme le prouve aussi la question que se pose l'Agrippine de Bretécher : « Et le droit d'exister, j'ai ? »

Style/genre : Le temps est révolu où style et genre n'étaient que des substantifs obligatoirement suivis d'attributs plus précis. Désormais, ils ont pris leur indépendance et vivent leur vie, loin de toute contrainte sémantique ou grammaticale. La société française se comporte ainsi comme si de petits mots pouvaient être aussi de grands remèdes. D'ailleurs, si l'on en croit mon fils Léonard, tout cela fait style, mais il faut avouer que certains de nos contemporains sont tout de même très genre !

Le parler pub :

Après avoir épuisé les détournements de sens et les emprunts au vocabulaire courant (l'électronique avait été largement mise à contribution il y a quelques années avec le langage branché ou câblé), les publicitaires ont franchi un nouveau pas dans la création linguistique :