Journal de l'année Édition 1992 1992Éd. 1992

Sang contaminé : du drame au scandale

La contamination par le virus du sida à la suite d'une transfusion sanguine passait jusqu'alors pour une cruelle fatalité. Entre 1980 et 1985, 5 000 personnes dont 1 200 hémophiles en ont été victimes. Mais la multiplication des plaintes déposées par des hémophiles contaminés a fini par attirer l'attention des médias sur le fonctionnement du système transfusionnel français.

Le 1er juin, à la suite d'une campagne de presse lancée par l'Événement du jeudi, le docteur Michel Garretta, directeur du Centre national de transfusion sanguine (CNTS), démissionne. Dans son numéro du 25 avril 1991, l'hebdomadaire accusait les autorités transfusionnelles d'avoir continué, en 1985, à distribuer des produits sanguins qu'elles savaient contaminés par le virus du sida. « C'est aux autorités de tutelle de prendre leurs responsabilités sur ce grave problème et d'éventuellement nous interdire de céder les produits, avec les conséquences financières que cela représente », affirmait en mai 1985 le docteur Garretta, cité par le magazine.

Le 5 juin, le ministre délégué à la Santé, M. Bruno Durieux, dénonce « une grave erreur collective d'appréciation » et commande un rapport à l'Inspection générale des Affaires sociales (IGAS). Rendu public le 10 septembre et transmis à la justice, ce texte montre que les connaissances incomplètes que l'on avait du sida en 1985 n'expliquent qu'en partie les erreurs de décisions des autorités sanitaires et politiques. La responsabilité de Mme Georgina Dufoix, ancien ministre des Affaires sociales, et de M. Edmond Hervé, son secrétaire d'État à la Santé, ainsi que du Premier ministre de l'époque, M. Laurent Fabius, est alors évoquée, pour être aussitôt niée par les intéressés, Mme Dufoix déclarant notamment, le 3 novembre, qu'elle se sent « responsable », mais pas « coupable ». Le projet de loi d'indemnisation reposera sur ce même principe de « réparation sans cause » qui assimile les transfusés contaminés à des victimes de catastrophes naturelles.

Si les hommes politiques ne sont pas inquiétés, en revanche, le 21 octobre, le professeur Jacques Roux, ancien directeur général de la Santé, et les docteurs Robert Netter, ancien directeur du Laboratoire national de la santé, et Michel Garretta sont inculpés. Le 4 novembre, c'est au tour du docteur Jean-Pierre Allain, ancien responsable du département des recherches au CNTS, de subir une mesure identique. L'État n'échappe toutefois pas totalement à la justice. Le 20 décembre, sur la plainte d'un hémophile contaminé, le tribunal administratif de Paris reconnaît coupable le ministère des Affaires sociales, et non plus seulement le CNTS.

Une grave erreur collective

En 1984, un an après la découverte du virus du sida, les chercheurs s'interrogeaient encore sur le processus de contamination, sur l'ampleur de l'épidémie et sur les moyens de la prévenir. Toutefois, dès juin 1983, une circulaire de la direction générale de la Santé (DGS) posait le problème de la contamination des hémophiles et indiquait les mesures à prendre pour écarter du don du sang les sujets à risque. Mais ces propositions heurtaient les principes de générosité et de solidarité sur lesquels repose le système transfusionnel français, dont la sécurité se veut garantie par le bénévolat, l'anonymat et la gratuité des dons. D'autre part, dès novembre 1984, un spécialiste de la DGS déclarait que « l'inactivation du virus après un chauffage des dérivés sanguins (68 degrés pendant 24 heures) est prouvée ».

Il fallut pourtant attendre août 1985 pour que le dépistage du virus chez les donneurs de sang soit rendu obligatoire. Outre que son intérêt ne faisait pas l'unanimité, les autorités ne voulaient pas abandonner le marché au seul test américain disponible avant que celui de l'Institut Pasteur ne soit opérationnel – sans parler des problèmes de la prise en charge du coût du test et de la diminution consécutive des dons. La décision de ne rembourser que le test Pasteur dans les laboratoires privés, qui ne l'utilisaient pas tous, incitait alors les sujets à risque à se faire dépister, gratuitement et anonymement, par les centres de transfusion, ce qui augmentait le risque de collecte de sang contaminé non identifié. Cette situation aberrante dura jusqu'en février 1987. De même, les collectes effectuées en milieu carcéral, dans une population réputée à risque, ne cessèrent qu'en octobre 1985.