Les Conférences nationales – réunions des forces vives, politiques et sociales – ont fonctionné comme des assemblées souveraines dépossédant les chefs d'État du pouvoir, en attendant la tenue d'élections libres. En Guinée-Bissau, en Guinée, en Sierra-Leone, en Centrafrique, le principe du multipartisme a été adopté, alors qu'au Sénégal le principal opposant au régime, Abdoulaye Wade, est entré au gouvernement.

Mais à ces transitions « douces » s'opposent des accouchements douloureux. Il a fallu un coup d'État militaire au Mali en mars pour mettre fin aux sanglantes exactions du régime de Moussa Traoré, général-président cramponné à son trône. Toujours en mars, des manifestations ont été durement réprimées à Lomé (Togo) avant l'ouverture de la Conférence nationale (en juillet) qui a dépouillé le général Eyadema de ses prérogatives, mais, en octobre, une rébellion militaire a gravement menacé la démocratisation. À Madagascar, le rêve d'une révolution tranquille s'est brisé, le 10 août, lorsque le président Ratsiraka a choisi de faire couler le sang, et la plus grande incertitude demeure, encouragée par l'ambiguïté de la diplomatie française.

Le pire est survenu au Zaïre : engagé depuis avril 1990, le bras de fer entre le maréchal Mobutu et l'opposition s'est terminé en drame. Après une lueur d'espoir suscitée par la création d'un gouvernement d'union, le pays a basculé dans le chaos en septembre : émeutes, pillages de Kinshasa, Lumumbashi, Mbuji-Mayi, épanouissement d'une économie du racket, tout concourait à rendre la situation explosive et contraignait les Européens installés dans le pays à quitter les provinces dangereuses sous la protection des parachutistes français et belges.

Les conditions se détériorent

Dans la corne de l'Afrique, la Somalie a implosé et l'Éthiopie est au bord de la dislocation. Après la victoire militaire des rebelles somaliens et la fuite de Siyad Barre, qui dirigeait le pays depuis 1969 (janvier), les affrontements entre factions maquisardes n'ont pas cessé. Alors que la Somalie est menacée par la famine, les « nordistes » du MNS (Mouvement national somalien) ont fait sécession le 18 mai et proclamé la république du Somaliland. En Éthiopie, le colonel Mengistu, « négus rouge » régnant depuis 1974, est tombé en mai, victime de l'offensive des guérilleros érythréens et tigréens. Mêles Zenawi, chef du FDRPE (Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien), a été élu président, pour deux ans par un Conseil national. Mais la question de l'unité nationale demeure posée : en autorisant un référendum d'autodétermination en Érythrée, les dirigeants ouvrent des perspectives aux autres périphéries de l'ancien empire, dont l'intégrité territoriale risque d'être réduite à l'état de souvenir.

Alors que les conflits déchirent toujours le Soudan et le Liberia, les accords d'Estoril conclus le 1er mai, puis le cessez-le-feu en vigueur depuis le 15 mai, ont ramené la paix en Angola, où des présidentielles sont prévues en 1992. Au Mozambique, autre point chaud ancien, les négociations entre le gouvernement et la RENAMO se sont poursuivies. En Afrique du Sud, la loi sur les classifications raciales, dernier pilier juridique de l'apartheid, a été abrogée le 17 juin.

L'accord de Genève du 16 août sur le rapatriement de 40 000 exilés, la décision des dirigeants du Commonwealth de lever partiellement les sanctions contre Pretoria, l'attribution du prix Nobel de littérature à Nadine Gordimer, chantre de l'antiracisme sont autant de signes encourageants. Mais le scandale de « l'Inkathagate » (financement du parti Inkatha, à dominante zouloue, par le pouvoir) et la poursuite des affrontements fratricides dans les townships montrent à quel point le chemin de la démocratie est difficile.

Il l'est d'autant plus que les conditions économiques et sociales se détériorent : au terme d'une décennie perdue pour le développement, l'Afrique a été marginalisée dans les échanges internationaux (moins de 1 % du commerce mondial). Le continent est confronté à de graves problèmes sanitaires : choléra, paludisme et sida (40 millions d'adultes et d'enfants pourraient être séropositifs à l'horizon de l'an 2000) frappent durement les populations, et la mortalité infantile bat des records (300 ‰ au Mali ou au Mozambique). Aussi inquiétante est son accession au rang de plaque tournante du trafic de l'héroïne asiatique. Devenus des hauts lieux du blanchiment de l'argent de la drogue, certains pays (le Sénégal, la Côte-d'Ivoire, le Cameroun, le Gabon, le Nigeria, l'Égypte, le Kenya) sont intégrés dans des réseaux de narcotrafiquants.