Allemagne : après l'unification

Comme les Européens avaient fini par trouver normale la dichotomie de leur continent, les Allemands s'étaient habitués à la division de leur nation. Il ne faut donc pas s'étonner si la réunification de l'Allemagne, réalisée le 3 octobre 1990, n'a cessé, au cours de l'année 1991, de poser des problèmes à tout le monde.

Même si, dès sa naissance et la promulgation de sa loi fondamentale, le 23 mai 1949, la République fédérale s'était fixé pour objectif la réunification, elle fut très vite amenée à admettre que ce but ne serait atteint qu'à long terme. De son côté, le monde occidental se convainquait – certains s'en réjouissaient – que la division de l'Allemagne et de l'Europe allait durer. D'une part, parce que la volonté soviétique de conserver ses acquis de la Seconde Guerre mondiale paraissait immuable ; d'autre part – et en dépit du découpage arbitraire et provisoire des zones d'occupation sur lequel se fondait la partition –, parce qu'on se laissait prendre à l'idée que, par sa vie séparée et ses objectifs divergents, la RDA était en train de développer une personnalité propre qui, malgré la présence des forces soviétiques, lui donnerait peu à peu une vie autonome.

Certes, aussi longtemps que la circulation avait été libre à Berlin (1950-1961), plusieurs millions d'Allemands de l'Est avaient pu choisir l'unité ; mais, depuis la mise en place du Mur, le 13 août 1961, la population de la RDA, sous ce régime de contraintes, n'exprimait plus guère ses aspirations en termes de réunification, mais plutôt de liberté, et émigrait chaque soir à l'Ouest grâce à la magie de la télévision. De surcroît, pour ne pas faire de peine à la RDA, la RFA avait décidé de prendre pour argent comptant les données statistiques fournies par Berlin-Est et surestimait de ce fait considérablement la situation économique de l'Allemagne communiste. En 1987, on indiquait ainsi par exemple que le PNB par habitant de cette dernière équivalait à 73 % de celui de la première..., alors que, dans la réalité, il n'atteignait que le tiers. Ces erreurs – volontaires ou non – du ministère fédéral des Affaires interallemandes expliquent alors les déboires du gouvernement Kohl au cours des premiers mois de 1991.

Un état lamentable

Dans les nouveaux Länder, la situation économique était vraiment dramatique, ainsi que l'avait indiqué, dès 1987, un certain nombre de rapports. Les économies socialistes – celle de la RDA comme celle des autres États du COMECON – donnaient des signes de faiblesse que souligne l'indice (base : 100 en 1973) du produit intérieur brut en 1987 : Japon, 128 ; RFA, 123 ; France, 121 ; E.-U., 119 ; RDA, 108 ; URSS, 102. (Source : OCDE.)

Cette défaillance aggravait l'écart déjà considérable entre les deux Allemagnes qui se développait au moment même où, selon la RDA, se constituait une « nouvelle classe moyenne salariée », ainsi qu'en témoignent les chiffres suivants :

Aussi comprend-on mieux les réactions de ces milieux qui refusaient les analyses néomarxiennes des Églises protestantes ou celles de l'intellectuel R. Bahro, qui, dans l'Alternative, avait préconisé en 1977 une économie socialiste de type néomarxiste autogestionnaire.

Ce que cette population attendait de l'unification pour laquelle elle votait, c'était l'entrée dans la société de consommation. Elle fut déçue. La situation économique de la RDA était telle qu'il fallait d'abord reconstruire les nouveaux Länder où les infrastructures (voies de communication, télécommunications, habitat, environnement...) étaient dans un état catastrophique.

La RFA et les Allemands ont donc été contraints de prendre en compte le coût de la remise à flot de la RDA. Si la Bundesbank faisait varier ses évaluations entre 250 et 400 milliards de DM sur dix ans avant les élections, on sait maintenant que la réalité est toute différente et qu'elle obérera largement la situation économique et financière de la RFA. Aujourd'hui, le réaménagement des nouveaux Länder est estimé entre 850 et 900 milliards de DM (500 milliards de $). Le paiement de leur pension aux retraités de l'Est coûtera environ 2 milliards par mois, la reconstruction des réseaux de communication (voies ferrées, télécommunications, routes) 150 à 200 milliards, et la restructuration de l'industrie et de l'agriculture à peu près autant. À cela s'ajoute tout ce qu'il faudra faire pour les villes (canalisations, logements) et pour l'environnement, qui se trouvent dans un état lamentable.

Un nouveau miracle économique ?

Tout cela explique les difficultés rencontrées par les nouveaux Länder dès la fin de l'année 1990 : le chômage progresse et atteint très rapidement un taux de l'ordre de 12 % de la population active en touchant plus particulièrement les jeunes, mal formés et peu habitués à ce genre de situation, qui s'accompagne de la montée d'un courant xénophobe antipolonais ou antiroumain exploité et trop souvent exagéré par les médias. À cela s'ajoute enfin un nombre encore plus important de chômeurs partiels qui ne devraient pas disparaître avant que l'organisme chargé de l'adaptation des entreprises à l'économie de marché – la Treuhandanstalt – dont l'action, souvent discutée, est pourtant efficace, n'ait pu accomplir sa mission.