L'opération, lancée au Conseil européen de Hanovre en juin 1988, n'a pu être menée à bien que moyennant beaucoup d'énergie et de persévérance, tant en raison de l'obstruction du Royaume-Uni que des réticences, d'une tout autre nature mais néanmoins dévastatrices, de l'Allemagne. Les unes et les autres ont été surmontées. Le Comité d'experts présidé par M. Jacques Delors avait présenté son projet d'UEM en trois étapes en avril 1989. Ensuite, Mme Margaret Thatcher s'était efforcée d'empêcher, ou du moins de retarder, la réunion de la Conférence intergouvernementale chargée de rédiger le nouveau traité.

Le harcèlement ainsi pratiqué fut vain. Jugé excessif, même au Royaume-Uni, il n'a pas peu contribué à l'éviction de la « dame de fer » à l'automne 90. La Conférence intergouvernementale fut lancée en décembre et les Britanniques y participèrent pleinement, mais de manière très critique, rêvant à l'évidence de voir le plan Delors et sa monnaie unique – atteinte jugée insupportable à la souveraineté nationale par une partie des conservateurs – remisés aux oubliettes. La détermination de la majorité des États membres et l'arbitrage rendu en Allemagne par le chancelier Helmut Kohl en faveur de l'UEM eurent raison de cette opposition qui, bien souvent, même une fois M. John Major promu Premier ministre, s'apparentait à un pur et simple sabotage.

Faute de pouvoir torpiller l'entreprise, Londres s'y rallia, mais en se faisant reconnaître une clause d'exemption (« opting-out ») : le moment venu, lors du passage à la troisième étape, entre 1997 et 1999, le Parlement de Westminster devra confirmer son premier vote de ratification (celui-ci devant intervenir, comme dans le reste de la CEE, en 1992) et dire s'il est prêt à franchir le seuil de la monnaie unique.

Les Allemands, qui vénèrent le Mark comme l'un des premiers symboles de la nation, étaient prêts à sauter très vite le pas de la monnaie unique, mais à condition que ce fût en compagnie d'un nombre limité de partenaires sûrs : les trois du Benelux, qui appartiennent dès aujourd'hui à la zone Mark, la France assagie, peut-être le Danemark... C'était l'idée d'une Union monétaire à deux vitesses caressée en particulier par la Bundesbank. Une idée qui fut jugée politiquement intolérable lorsqu'en septembre dernier les Pays-Bas, qui assurèrent de façon quelque peu heurtée la présidence des travaux des Douze au cours du second semestre 1992, s'aventurèrent à la proposer.

M. Win Kok, le ministre néerlandais des Finances, fit rapidement et habilement marche arrière : le passage à la troisième étape, expliqua-t-il, devra être approuvé par l'ensemble de « la famille communautaire », quitte à ce que des délais soient accordés à l'un ou à l'autre pour se hisser au niveau des performances économiques des meilleurs. À Maastricht, M. François Mitterrand, soucieux que soit souligné le caractère irréversible du processus, a obtenu qu'une date limite – le 1er janvier 1999 – soit fixée dans le traité pour le passage à la troisième étape.

Cependant, les préoccupations de l'Allemagne furent largement prises en compte : l'objectif prioritaire de l'UEM, inscrit dans le traité, sera la stabilité de la monnaie ; la Banque centrale européenne, qui ne sera créée qu'une fois décidé le passage à la troisième étape, restera à l'image de la Bundesbank, indépendante des gouvernements, avec, comme principale mission, celle précisément d'assurer cette stabilité monétaire. Seuls les États membres répondant à une série de critères qui garantiraient leur bonne santé économique (inflation, déficit public, endettement, taux d'intérêt) pourront accéder à la troisième étape et à la monnaie unique. Afin de faire en sorte que le plus grand nombre se trouve dans cette situation enviable, les gouvernements s'engagent à présenter aux pays partenaires et à mettre en œuvre dès la première étape des « programmes de convergence ». L'Italie, la Grèce et le Portugal l'ont déjà fait.

L'Europe à la carte

L'accord de Maastricht sur l'UEM, fruit de deux ans et demi d'une intense préparation à partir du rapport Delors, apparaît comme un compromis équilibré, reflétant la volonté politique des États membres et dont les chances d'être mené à terme ne paraissent pas, en vérité, devoir être mises en doute. La force d'attraction de la Communauté, espace de liberté et de stabilité, devrait s'en trouver très vite renforcée, notamment auprès des investisseurs américains et japonais. Ainsi se trouverait répété, du moins peut-on l'espérer, l'« effet marché unique » qui, à partir de 1986, a amplifié la croissance dans la CEE.