Malgré l'adoption définitive le 3 juillet, par l'Assemblée nationale, de la loi sur la réforme hospitalière et de la loi d'orientation sur la ville dite « loi antighetto », le tissu social se déchirait. Le 11 juin, puis le 17 novembre, près de 100 000 professionnels de la santé manifestèrent à Paris contre les projets ministériels de maîtrise des dépenses d'assurance maladie. Les pouvoirs publics leur répondirent par l'indifférence et entamèrent, impavides, le 25, la mise en œuvre de leur plan, qui aboutit à l'augmentation des cotisations sociales le 1er juillet et à l'adoption, en première lecture, par l'Assemblée nationale le 5 octobre, du projet de loi portant création d'une « agence du médicament ».

Avec une égale indifférence, ils refusèrent d'améliorer les conditions de travail et de salaires des infirmières, dont le recrutement se tarit. Et quand celles-ci osèrent défiler en masse dans les rues de la capitale, ils n'hésitèrent pas à recourir au canon à eau et au tir de grenades lacrymogènes pour les disperser, quitte à blesser quelques-unes d'entre-elles. C'est par la violence également qu'ils répondirent le 23 et le 24 juin, à Narbonne, à la revendication d'intégration sociale des fils de « harkis », revendication qui ne fut satisfaite que partiellement le 12 juillet.

Victimes de la chute des cours de la viande, inquiets des projets de réforme de la politique communautaire, 200 000 agriculteurs affluèrent à leur tour à Paris le 29 septembre pour y clamer leur colère, prélude à une série de manifestations qui empêchèrent les ministres de se déplacer en province, au grand mécontentement du chef de l'État qui dénonça, le 22 octobre, « certaines bandes qui... mettent en péril d'une certaine façon la République ».

Où l'on parle de charters...

Inexorablement, la courbe du chômage progressait vers la crête des 3 millions de chômeurs, chaque opération de restructuration industrielle s'accompagnant d'une annonce de suppression d'emplois : 25 % des effectifs à Antenne 2 et à FR3 le 12 juin ; 3 000 annoncées par Air France le 25 septembre pour l'année 1992 ; 6 700 étalées sur trois ans selon un communiqué d'Usinor-Sacilor en date du 5 novembre, etc.

Devant l'ampleur de ce désastre humain, le Premier ministre n'a pas hésité, dès le 26 mai, à « sortir du cadre idéologique de la gauche » pour préconiser le développement de l'apprentissage dans le cadre d'une alternance école-entreprise qui permettrait de former les jeunes en fonction des besoins du marché, au risque d'entrer en conflit avec le ministre de l'Éducation nationale, Lionel Jospin, préoccupé avant tout d'amener 80 % d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat.

Couplée aux mesures à court terme proposées dès le 3 juillet par le nouveau ministre du Travail, Martine Aubry, cette nouvelle politique de formation des jeunes devrait favoriser une reprise progressive de leur embauche, à condition qu'aux courants migratoires en provenance d'Afrique ne viennent pas s'ajouter des candidats à des emplois originaires, cette fois, de l'Europe de l'Est et dont l'arrivée serait facilitée dès 1993 par les accords de Schengen, qui ont prévu la création d'un espace sans frontière entre huit pays de la CEE à partir du 1er janvier 1993.

Aggravé par la participation trop fréquente d'étrangers en provenance d'outre-mer à des manifestations de violence parfois sanglantes, telles celles qui se déroulèrent du 9 au 12 juin à proximité du quartier du Val-Fourré à Mantes-la-Jolie, le problème de l'immigration est désormais considéré comme la clef de celui de l'emploi par un nombre croissant d'électeurs qui apportent leurs suffrages au Front national de Jean-Marie Le Pen, ainsi qu'en témoignent, par exemple, les premiers tours des cantonales qui eurent lieu le 15 septembre à Marseille (44,4 %) et à Seynod, en Haute-Savoie (14,1 %).

L'ampleur de ce phénomène incita les dirigeants de tous les partis politiques « traditionnels » à modifier leur discours en cette matière. Sans approuver la déclaration de Michel Poniatowski, publiée dans le Figaro du 20 juin, selon lequel « la population immigrée est hautement criminogène », Jacques Chirac constata, le 19, l'existence d'une « overdose d'étrangers » dont « le bruit et l'odeur » perturberaient la vie quotidienne des habitants des HLM, avant même que Valéry Giscard d'Estaing ne dénonce, le 21 septembre, dans un article du Figaro-Magazine, le risque d'« invasion » que représenteraient pour la France une immigration non contrôlée et une politique de naturalisations reposant sur le droit du sol, et non sur celui du sang.