Autre exposition-phare de l'année : Georges Seurat. La rétrospective, qui coïncidait avec le centenaire de la mort du peintre, rassemblait notamment de somptueux dessins dont le grain, les ombres et les lumières donnaient à penser que le champion de la peinture divisionniste n'opérait pas toujours à froid et scientifiquement. Esquisses, croquis, tableautins préparant les grandes peintures « maniaques » de perfection, comme Un dimanche d'été à la Grande Jatte, révèlent la chair de l'œuvre et l'extrême sensibilité de ce grand artiste.

Présentée au Grand Palais, l'exposition Seurat était organisée par le musée d'Orsay, dont l'autre manifestation majeure de l'année concernait Edvard Munch. L'artiste norvégien, généralement considéré comme l'un des pères de l'expressionnisme, en particulier pour son Cri, est mal connu en France, où il séjourna beaucoup à la fin du siècle dernier. L'exposition se faisait fort, justement, de démontrer que l'artiste avait quelques dettes envers l'art français, des impressionnistes à Lautrec, en passant par Gauguin. Tant et si bien que Munch y perdait toute identité. Un grand ensemble de gravures corrigeait heureusement ce point de vue regrettable.

Paris et la province

Les grandes expositions d'art ancien n'ont pas été toujours le seul fait de musées parisiens. À Colmar, le musée d'Unterlinden a eu l'excellente idée de célébrer le cinquième centenaire de la mort de Martin Schongauer. Du « Beau Martin », qui travaillait à Colmar (on peut y voir le fameux retable de la Vierge au buisson de roses), étaient pour la première fois réunis tous les dessins connus et supposés de sa main, et tout l'œuvre gravé, qui est admirable. Le jeune Dürer s'en est d'ailleurs plus d'une fois inspiré, qui avait fait le voyage de Nuremberg à Colmar pour voir le grand maître. Schongauer et Dürer étaient d'ailleurs réunis, mais à Paris, dans deux des trois expositions du musée du Louvre vouées à cette grande période d'effervescence que fut, en Allemagne, le passage du Moyen Âge à la Renaissance. Astucieusement, trois disciplines étaient proposées : la sculpture pour la fin du Moyen Âge (xve et début du xvie siècle) ; la gravure du xve, une spécialité allemande, qui a permis de faire circuler les modèles anciens et nouveaux ; enfin, le dessin, avec Dürer (en 72 feuilles) et plusieurs autres maîtres moins célèbres de la Renaissance germanique.

Les expositions d'art moderne et contemporain se sont multipliées tout au long de l'année, partout en France, dans les musées et les centres d'art. Mais peu ont apporté au public une information inédite, ou permis de revisiter utilement quelque artiste. Le musée d'Art moderne de la Ville de Paris s'est particulièrement fait remarquer par un excellent programme : après la rétrospective Piero Manzoni, artiste fantaisiste opérant en Italie à la fin des années 50, mais qu'on ne sait trop où situer avec ses Monochromes blancs, était présenté El Lissitzky. L'exposition de cette figure majeure de l'avant-garde constructiviste en Russie permettait, pour la première fois (grâce aux prêts de la galerie Tretiakov de Moscou), de suivre l'itinéraire de l'artiste, dont les recherches plastiques devaient servir l'architecture et préparer le cadre de la vie moderne.

Enfin, pour bien finir l'année, le musée parisien proposait une remarquable rétrospective Giacometti, forte de trois cents œuvres, sculptures, dessins et peintures, portraits de familiers et figures d'inconnus haut perchés, tentatives multiples et acharnées, bien que jugées vaines par l'artiste, afin de tenir la ressemblance sous le crayon et dans la terre modelée aux doigts.

Un œil infaillible

Pour sa part, le musée national d'Art moderne (Centre Pompidou) a proposé, pour l'été, une grande exposition marquante : André Breton. Le poète agitateur y était révélé dans un rôle qu'on ne lui connaissait pas vraiment, celui de grand collectionneur. En cinq cents œuvres, peintures, dessins, objets, sculptures et documents, on apprenait, par exemple, que le penseur du surréalisme avait été l'un des premiers à mesurer l'importance des Demoiselles d'Avignon de Picasso, que ses choix esthétiques débordaient le cadre de la peinture de ses amis et qu'en matière d'art primitif il avait un œil infaillible. Sitôt fermée l'exposition Breton, sur les mêmes grandes cimaises, on accrochait Max Ernst, pour fêter le centenaire de la naissance de l'artiste. La rétrospective, bien faite, promenait le visiteur dans l'univers particulier de cet inventeur hors les règles de l'art, qui pratique le collage au temps de Dada, le frottage, la décalcomanie et autres cuisines de son cru au temps du surréalisme, pour faire passer son iconographie visionnaire.

À signaler au cours de l'année deux événements d'art très contemporain : d'abord la prestation de Daniel Buren au CAPC-musée de Bordeaux, où, libre d'utiliser comme il le voulait l'Entrepôt Lainé, l'artiste y produit une installation spectaculaire, jouant et se jouant admirablement de l'architecture du bâtiment, usant de bandes pour en souligner la structure et d'un grand miroir incliné pour mettre tout l'espace en bascule ; ensuite, l'inauguration, à Paris, de la galerie nationale du Jeu de paume, désormais vouée à l'art contemporain : Dubuffet en était le premier invité.

Geneviève Breerette