Dans un tel climat, les organisateurs de la FIAC de l'automne 1991 guettaient avec anxiété l'ouverture des portes du Grand Palais. Ils l'attendaient avec d'autant plus de crainte que l'annonce du relèvement de la TVA sur les œuvres d'art a refroidi les professionnels français. Taxés jusque-là à 5 %, les tableaux devaient l'être à 18,6 % à partir du 1er octobre. Présentée officiellement par le ministère des Finances comme un alignement de la France sur ses voisins de la CEE, cette mesure a fait l'objet d'une intense négociation entre pouvoirs publics et représentants des galeries. Il a finalement été décidé de conserver le taux de 5 % pour les œuvres des artistes vivants de manière à ne pas handicaper davantage un marché déjà en mauvaise santé. Les galeristes sont certes loin de se montrer satisfaits, mais le ministre de la culture, Jack Lang, a pu inaugurer la Foire sans devoir entendre trop de reproches.

Le bilan de cette FIAC reflète les incertitudes du marché. Si la fréquentation du Grand Palais n'a pas fléchi (140 000 visiteurs en une semaine), les transactions ont retrouvé leur niveau de 1988 (200 millions de F). Comme si la flambée était désormais mise entre parenthèses. Si les résultats n'ont pas été désastreux, sans doute est-ce parce que les galeristes ont parié, cette année, sur la qualité des œuvres. Léger, Klee, Picasso, Dubuffet, Gargallo étaient représentés par des tableaux et des sculptures dignes de figurer dans des rétrospectives.

De ce retour aux valeurs sûres, la jeune création pâtit. Les galeries hésitent à exposer des inconnus dont même le succès ne suffirait pas à rétablir leurs finances. Des inconnus qui ont d'autant plus de difficulté à s'imposer qu'aucune tendance, aucun mouvement ne se dégage nettement de l'éclectisme contemporain. Signe des temps, la galerie du Jeu de paume, officiellement consacrée à la création vivante, ouvre ses portes en juillet avec une rétrospective consacrée aux dernières années de Jean Dubuffet, une des valeurs les mieux établies de l'art contemporain. Ces incertitudes n'affectent pas le grand public qui se précipite, comme d'habitude, aux rétrospectives consacrées aux grands noms de l'histoire de l'art : Seurat et Géricault à Paris, Van Dyck à Washington, Rembrandt à Berlin, Londres et Amsterdam.

Autre crise : celle qui affecte la librairie. Les six premiers mois de 1991 ont été mauvais pour l'édition française. Le chiffre d'affaires des principales maisons a baissé – dans des proportions allant de 2 à 35 % – par rapport au premier semestre de l'année précédente. Dans le même temps, les libraires ont pratiqué une réduction importante de leurs stocks, car ils coûtent cher et rapportent peu. Résultat : un taux de retour des livres qui a pu atteindre jusqu'à 60 % pour des titres et des collections dont les éditeurs escomptaient le succès. Pratiquer la surproduction, gonfler les offices, les méthodes employées pour remédier au déficit n'ont pas porté de fruits. « Dans ce métier, il n'y a plus que les transporteurs qui gagnent de l'argent », affirme un petit éditeur.

La guerre du Golfe a servi de détonateur : elle a éloigné le public des librairies en le fixant devant sa télévision. Mais ce n'est pas là qu'affaire de conjoncture. Après une progression spectaculaire dans les années 1950-1970, le livre français connaît depuis quinze ans une période de stagnation. En chiffre d'affaires, calculé en francs constants comme en nombre d'exemplaires produits, l'édition est demeurée au niveau qui était le sien en 1980. L'augmentation importante du nombre des titres parus est annulée par la baisse du tirage moyen de ces titres. Il s'agit là, très probablement, d'une évolution irrémédiable que la récente enquête sur les pratiques culturelles des Français confirme : la concurrence des autres médias a privé le livre de sa royauté.

Dans le domaine romanesque, ne font guère exception que les auteurs consacrés : Jean d'Ormesson (l'Histoire du juif errant), J.-M. G. Le Clézio (Onitsha) ou Marguerite Duras (l'Amant de la Chine du Nord). Les essais semblent mieux résister que la fiction. Les 10 000 exemplaires du Qu'est-ce que la philosophie de Deleuze et Guattari vendus dans la semaine qui a suivi sa parution le prouvent. Un procès pour plagiat n'a pas empêché les entretiens de Jean Guitton avec les frères Bogdanov (Dieu et la science) de tourner au best-seller. On n'en attend pas moins de l'Histoire de lynx de Claude Lévi-Strauss. Le pamphlet de Marc Fumaroli sur l'État culturel cristallise avec succès les doutes de l'époque.

La déferlante américaine

Ce professeur au Collège de France a été l'un des protagonistes majeurs de la querelle que n'a pas manqué de susciter le projet de la Bibliothèque de France. Annoncée par le président de la République au début de son second septennat comme devant être un établissement d'un type entièrement nouveau, ouvert à tous les médias, la future TGB se révéla, de modifications en réajustements, comme une Bibliothèque nationale améliorée destinée aux chercheurs, doublée d'une grosse bibliothèque d'information ouverte au grand public. Son architecture, signée Dominique Perrault, son coût (plus de 7 milliards de francs) et la répartition de son contenu (faut-il stocker les livres en hauteur, dans les tours, ou dans les sous-sols de la TGB ?) ont engendré une polémique internationale, nourrie de pétitions et de lettres ouvertes. Le chantier, perturbé par le voisinage de squatters, devait pourtant démarrer, sans trop de retard, à la fin de l'année. Mais c'est tout le tissu des bibliothèques de France (les bibliothèques universitaires en particulier) que l'État doit réanimer si l'on veut que la TGB de demain ne soit pas un palais au milieu d'un désert.