Obsédante immigration

L'immigration est devenue l'une des principales préoccupations des Français. Mais, derrière ce mot, ce sont des sujets divers qui agitent les esprits.

La guerre du Golfe allait-elle raviver en France des tensions communautaires, dresser les Arabes contre les juifs, provoquer une sorte d'intifada ? C'était la grande crainte des pouvoirs publics au début de 1991. Il n'en a rien été : les jeunes d'origine maghrébine, en particulier, ont fait preuve d'un calme exemplaire, ne se distinguant guère du reste de la population. On y a vu le signe d'une « intégration » – concept nouveau, défendu désormais par tous les partis politiques, à l'exception du Front national.

« L'intégration » avait déjà un secrétariat général et un Haut Conseil. Édith Cresson lui a donné une place au gouvernement en créant un ministère des Affaires sociales et de l'Intégration. Ce portefeuille a été confié à Jean-Louis Bianco, tandis qu'un ingénieur d'origine togolaise, Kofi Yamgnane, était nommé secrétaire d'État.

Français, immigrés et étrangers

Les dirigeants de l'INED (Institut national d'études démographiques), de l'INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) et du Haut Conseil à l'intégration ont publié en septembre 1991 une mise au point commune au sujet de l'immigration, accompagnée du tableau ci-dessous :

Sont comptées comme étrangers les personnes qui ont leur résidence permanente en France métropolitaine et qui déclarent n'avoir pas la nationalité française. Leur nombre n'a guère varié entre les recensements de 1982 et 1990.

Sont classées comme immigrés les personnes nées hors de France et qui sont soit étrangères, soit devenues françaises au cours de leur vie. Les étrangers nés en France ne sont pas considérés comme des immigrés. Avec cette définition, le nombre des immigrés aurait augmenté d'une centaine de mille entre les deux recensements. Cette population s'est renouvelée par décès, naturalisations et mouvements migratoires : ainsi seraient entrés en France depuis 1982 environ 450 000 étrangers de plus qu'il n'en est parti.

La hantise de « l'été chaud »

Édith Cresson a présenté l'intégration comme l'une des priorités de son gouvernement : une politique concernant tous les exclus, qu'ils soient français ou étrangers. Cela dit, le concept s'applique particulièrement aux immigrés et à leurs enfants, comme cela est apparu dans le premier rapport annuel du Haut Conseil, publié en février. « L'intégration, précisaient les neuf sages, est un processus spécifique par lequel il s'agit de susciter la participation active à la société nationale d'éléments variés et différents, tout en acceptant la subsistance de spécificités culturelles et morales ». Les immigrés, ajoutait le Haut Conseil, doivent « accepter les règles » de la société française, adhérer à « un minimum de valeurs communes » pour que leur « fusion dans la communauté nationale » continue à enrichir celle-ci et à contribuer à son rayonnement. Les « sages » mettaient cependant en garde contre une sorte d'intégration à l'envers, naissant de la cohabitation explosive, en certains quartiers, d'immigrés récents et de Français en voie de marginalisation.

Certains de ces quartiers ont fait les gros titres des journaux au printemps. À Sartrouville, dans les Yvelines, la mort d'un « beur » de dix-huit ans, tué par un vigile, a provoqué de violents affrontements entre des jeunes et les forces de l'ordre. À Mantes-la-Jolie, dans le même département, un « beur » du même âge est mort d'une attaque cardiaque après sa garde à vue.

Le gouvernement devait tenir compte, à la fois, du désespoir de certains jeunes, de l'exaspération de la police et de l'inquiétude de l'opinion. Un projet de loi sur la ville, baptisé « anti-ghettos », a été adopté en juillet pour favoriser la mixité des divers types d'habitat dans les agglomérations urbaines. Parallèlement, il a été décidé que les fonctionnaires remplissant des missions « difficiles » dans certains quartiers (enseignants, policiers, etc.) verraient leur carrière accélérée.