Agriculture : primes et déprime

Il aura fallu qu'une sécheresse se prolongeât pendant plusieurs semaines au cours de l'été 1990 − la troisième consécutive après celles de 1988 et de 1989 − et qu'elle s'accompagnât de températures exceptionnellement élevées pour que fût révélée toute la gravité de la crise de l'agriculture française, latente depuis plusieurs années.

La colère des « paysans » − et non des agriculteurs, qui veulent par ce terme ancien montrer leur attachement à leur « métier » et à leurs « racines » terriennes − a donc éclaté. Elle l'a fait avec une violence d'autant plus grande qu'elle avait été longtemps contenue. La presse a rapporté les nombreux incidents − interception et incendie de camions transportant du bétail étranger avec leur cargaison vivante, affrontements avec les forces de l'ordre, etc. − provoqués pour attirer l'attention de l'opinion publique sur la chute des cours des produits animaux (14,1 % en un an pour les bovins et les ovins), sur l'alourdissement des charges financières lié à l'endettement croissant des exploitants agricoles, sur la dégradation de leurs revenus. Dans le même temps, ils dénonçaient, au-delà de la sécheresse, les multiples importations de produits animaux en provenance de l'Europe de l'Est, la limitation des débouchés pour leurs propres productions et enfin la concurrence des grands pays exportateurs, comme les Pays-Bas ou les États-Unis.

Le procès du productivisme

Devant la détérioration de la situation de certaines catégories d'agriculteurs (notamment les éleveurs), ceux-ci s'interrogent sur les causes immédiates et lointaines de cette évolution. Ils sont alors amenés à mettre en accusation, pêle-mêle, l'adoption d'une politique productiviste au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les choix de la politique agricole communautaire et le libéralisme de l'Uruguay Round où s'affrontent l'Europe et les États-Unis au cours d'âpres négociations bilatérales.

Plus précisément, les « paysans » contestent les solutions qui leur sont « proposées » de l'extérieur par les instances nationales et internationales. Selon leurs représentants, l'application de ces différents systèmes entraînerait des conséquences difficilement acceptables. Par exemple, en dehors de la réduction des actifs, ils redoutent l'accroissement de dépendance des exploitations agricoles provoqué par l'obligation dans laquelle elles seraient de se spécialiser à l'excès sous l'influence du libre-échange et de la concurrence des autres pays producteurs. De même, certains refusent catégoriquement d'être réduits au rôle de jardiniers de la nature ou de conservateurs d'un espace rural en voie de désertification.

En France, l'application du productivisme, c'est-à-dire de la recherche délibérée d'une amélioration de la productivité et, par conséquent, de la production agricole, remonte à la fin de la guerre. En effet, dès l'arrêt des hostilités, les paysans ont été incités à produire davantage afin de lutter contre la pénurie alimentaire, génératrice d'inflation.

Ensuite, dans les années 1960, des « structures complémentaires d'une politique des prix » ont été mises en place dans le but de favoriser la modernisation des exploitations agricoles, de permettre à l'agriculture française de devenir compétitive et de résister à la concurrence extérieure. Les agriculteurs furent incités à s'équiper de matériels toujours plus perfectionnés et à recourir massivement aux engrais artificiels et aux traitements chimiques très coûteux pour se protéger des parasites et des insectes.

Dans le cas de la production céréalière, la garantie des prix a permis de couvrir facilement la hausse des dépenses d'une année à l'autre ; d'un autre côté, pour amortir et rentabiliser les équipements lourds, les producteurs ont cherché à agrandir leurs exploitations déjà vastes. Il s'est ainsi développé au nord de la Loire une agriculture aux résultats très performants ; mais la situation a commencé à se dégrader au cours des années 1980 en raison des difficultés d'écoulement des stocks de céréales sur le marché mondial.