Journal de l'année Édition 1991 1991Éd. 1991

Algérie : l'année du FIS

Depuis la victoire de ce parti aux élections municipales et régionales du 12 juin 1990, la quasi-totalité de la vie politique algérienne est rythmée par l'existence du Front islamique du salut.

Peu de gens, en vérité, auront perçu la puissance du FIS avant qu'elle ne se manifeste de façon éclatante. Depuis les émeutes d'octobre 1988, on savait les islamistes nombreux et déterminés, bénéficiant d'un écho certain dans la population, surtout plébéienne. La manifestation du 20 avril 1990, où ils rassemblent, silencieux et glacés, plusieurs dizaines de milliers de « barbus », témoigne de l'élargissement de leur audience. Mais l'on croit alors le phénomène arrivé à son apogée. « À partir de maintenant, entend-on souvent à Alger, les intégristes ne peuvent que redescendre. Ils ne recueilleront pas plus de 15 à 20 % des voix aux élections municipales. »

L'agonie du FLN

Le 12 juin suivant, date du premier scrutin organisé depuis l'indépendance sous le signe du multipartisme, les résultats viennent contredire cette prévision. À la surprise générale − et la panique de beaucoup −, le FIS pulvérise tous les pronostics, enlevant la majorité des sièges dans 853 des 1 539 communes dont les conseils municipaux sont soumis à renouvellement. Avec des scores supérieurs à 60 %, les islamistes « raflent » la majorité dans toutes les grandes villes. Plus significatif encore, le FIS, traditionnellement bien implanté dans les grandes concentrations urbaines paupérisées, étend son influence dans les villes moyennes et dans les campagnes, jusque-là fiefs du FLN, attirant à lui aussi bien les électeurs des quartiers populaires que ceux des quartiers bourgeois.

De tels résultats permettent au FIS, sûr de son prochain succès, de réclamer avec insistance des élections législatives anticipées. Malgré plusieurs déclarations du Premier ministre, M. Mouloud Hamrouche, comme du président de la République, M. Chadli Bendjedid, affirmant qu'il n'y a pas lieu d'en passer par là, les islamistes obtiennent bientôt satisfaction sur le principe : le 29 juillet, le président Bendjedid accepte d'organiser dans le courant du premier semestre 1991 − soit à un an du terme normal de la législature − la consultation électorale tant demandée.

Le président n'a que peu de marge de manœuvre. Le FLN, dont il est toujours le président d'honneur, est secoué par les soubresauts de l'agonie, déchiré entre des factions rivales incapables de réagir au coup de massue que lui ont asséné les résultats électoraux. La pression politique du FIS, qui prend possession de ses communes et de ses conseils régionaux, est continue. Dans tout le pays, des militants forts de leur légitimité électorale font entendre leur voix, régentent la vie publique et privée, dénoncent la corruption et l'incompétence des anciens responsables. L'été sera ainsi traversé d'affrontements idéologiques entre les partisans de la « tradition » et ceux de la « modernité impie », comme les baptisent leurs adversaires, qui tentent vainement de s'opposer à l'offensive que mènent les islamistes sur le terrain des mœurs.

La confusion

Surtout, la situation économique est désastreuse. Écrasée par le poids de sa dette, l'Algérie consacre la quasi-totalité de ses ressources en devises au paiement des intérêts à court terme des prêts contractés quelques années auparavant. Faute de liquidités, elle est incapable d'importer les matières premières, les pièces de rechange et les machines nécessaires à son industrie, qui ne tourne plus qu'au tiers de sa capacité. Circonstance aggravante, le prix du pétrole, qui constitue sa seule source de devises, baisse dangereusement : l'Algérie avait parié sur un prix de vente à 18 dollars le baril, mais, fin juin, avec un dollar au plus bas, le pétrole algérien se vend aux alentours de 13 dollars, accroissant encore le déficit. À cette date, le pays est virtuellement en cessation de paiement.

La vertigineuse augmentation des prix et les difficultés de toutes sortes (chômage des jeunes, crise du logement, manque d'eau courante dans des appartements surpeuplés) provoquent des grèves et même des émeutes dans plusieurs régions du pays et témoignent d'une tension sociale inhabituelle.