Europe − 2

Les événements dont 1990 a été particulièrement riche ont conduit les responsables de la construction européenne à repenser l'architecture de la Communauté. Et les six derniers mois de l'année ont permis d'accomplir dans cette voie des « progrès impressionnants ».

En tombant, le mur de Berlin a fait une victime : Jacques Delors. Pour déplacée qu'elle fût, la boutade lancée au lendemain de la chute du Mur par le ministre français de la Défense, Jean-Pierre Chevènement, résume assez bien les quelques mois de malaise vécus par la Communauté européenne à la suite de l'effondrement des régimes communistes d'Europe de l'Est.

Automne 89 : tel un château de cartes, le bloc communiste se désagrège ; la cloison qui sépare Europe occidentale et Europe orientale s'écroule, obligeant chacune des parties à voir l'autre. La Communauté découvre que l'Europe n'est pas faite de seulement douze pays ; que, de l'autre côté de ce que l'on appelait le rideau de fer, des démocraties à venir doivent être aidées ; qu'elles veulent, à terme, s'accrocher au train communautaire... Bref, l' « architecture » de l'Europe est à repenser.

L'expression « nouvelle architecture de l'Europe » fait fortune. La réalisation du marché unique ne tombe certes pas aux oubliettes : le programme législatif qui doit aboutir à la création d'un espace sans frontières où les biens, les services, les capitaux et les personnes circuleront librement, au plus tard le 1er janvier 1993, est poursuivi. Mais l'« objectif 93 » quitte le devant de la scène.

Élargir ou approfondir ?

En évoquant la création d'une « confédération qui unirait l'ensemble du continent, à l'occasion de ses vœux de fin d'année, le président François Mitterrand sème le trouble chez les plus intégrationnistes des Européens. Pour eux, l'idée d'une structure à l'échelle du continent de même que la perspective d'un élargissement au-delà des Douze constituent une menace pour la Communauté. Mieux vaut, estiment-ils, se consacrer d'abord à la réalisation d'une véritable union en s'engageant dans la voie de l'union économique et monétaire (UEM), c'est-à-dire en se dotant d'une monnaie unique et d'une banque centrale commune.

Aussi le débat qui domine durant les premiers mois de l'année 1990 se résume-t-il aux questions suivantes : doit-on élargir la Communauté, au risque de la diluer − c'est le choix du Premier ministre britannique, Mme Margaret Thatcher –, ou faut-il d'abord approfondir les liens existants, pour ensuite accueillir, dans une organisation véritablement intégrée, les nouvelles démocraties − selon la version de Jacques Delors ? La construction d'une « maison commune » ne risque-t-elle pas de provoquer l'effondrement de la CEE, édifice qui a bénéficié de quarante années d'efforts ?

Derrière ce débat se cache une interrogation. C'est vers Bonn que se tournent tous les regards. Fin 89, au Conseil européen de Strasbourg, les Douze se sont mis d'accord sur une déclaration prévoyant que le peuple allemand pourra « retrouver son unité à travers une libre autodétermination » et que ce droit « se situe dans la perspective de l'intégration communautaire ». De l'attitude de la République fédérale allemande, de sa volonté de choisir entre la Communauté ou l'expansion vers l'Est, de la manière dont elle va résoudre le problème posé par la nouvelle liberté de la RDA dépend l'avenir des Douze. Et cet avenir semble incertain, tant le traditionnel moteur de la construction européenne, le couple franco-allemand, a de ratés. Parce qu'en France l'unification fait peur, parce que le chancelier Helmut Kohl se refuse pendant des mois à affirmer l'intangibilité de la frontière Oder-Neisse qui sépare la Pologne de la RDA, la confiance est ébranlée entre Paris et Bonn.

La brouille prend officiellement fin le 19 avril, lorsque MM. Kohl et Mitterrand relancent l'Europe politique dans un message adressé au Premier ministre irlandais (l'Irlande occupe la présidence de la Communauté au cours du premier semestre 90) : « Le moment est venu, déclarent-ils, de transformer l'ensemble des relations entre les États membres en une union européenne. »

Fixer une date

Après des mois de torpeur, l'initiative franco-allemande provoque le réveil des Douze. À Dublin, le 28 avril, lors d'un Conseil européen extraordinaire, les chefs d'État et de gouvernement décident que le 1er janvier 1993 ne sera pas seulement la date de l'achèvement du grand marché, mais aussi celle de l'avènement d'une Europe qui disposera d'une banque centrale, d'une politique monétaire, et d'installations renforcées qui devraient en faire une véritable union politique.