L'Italie a été marquée par la mort d'Alberto Moravia. En même temps, un autre « grand », Italo Calvino, a laissé un recueil posthume : Sous le soleil jaguar (le Seuil). Ferdinando Camon a retrouvé ses thèmes psychanalytiques et ses fidèles lecteurs avec le Chant des baleines (Gallimard), roman de la crise d'un couple. Mais l'événement de l'année reste la publication, aux Éditions Métailié, d'un monument de la littérature italienne, le Bâtard de Palerme, de Luigi Natoli.

Des États-Unis est venue la voix de David Leavitt qui a écrit Tendresses partagées (Flammarion), une chronique de mœurs drôle et brillante. Quant à William Styron, il a donné à Gallimard le surprenant récit autobiographique de sa dépression : Face aux ténèbres, chronique d'une folie, et Joyce Carol Oates nous a crûment plongés dans l'époque aux mille passions de l'après-guerre en Amérique (Souvenez-vous de ces années-là, Stock).

La remise du prix Nobel de littérature au Mexicain Octavio Paz a tourné les regards vers l'Amérique du Sud, aux œuvres toujours inspirées par le paroxysme. Vargas Llosa évoque à sa façon la lente décomposition de son pays dans Éloge de la marâtre (Gallimard). Le Colombien Gabriel Garcia Marquez a usé de toute sa luxuriance baroque pour ressusciter Simon Bolivar dans le Général dans son labyrinthe (Grasset). Et, tandis qu'il recevait le prix Del Duca, le Brésilien Jorge Amado permettait enfin qu'on traduisît son premier roman, le Pays du Carnaval, encore inédit à l'étranger (Gallimard). Enfin, le Cubain exilé Reinaldo Arenas chantait sa nostalgie à l'occasion d'une promenade imaginaire dans son pays natal : Voyage à La Havane (Presses de la Renaissance).

Françoise Devillers

Littérature française

Quand, à l'aube de cette décennie, un sondage SOFRES réalisé pour le Monde et France-Loisirs demande au grand public quel est l'écrivain le plus important du xxe siècle, il désigne Henri Troyat dont le dernier livre, la Femme de David (Flammarion), biographie romancée du peintre David, contient, il est vrai, tous les ingrédients pour plaire. Mais plus de 60 nouveaux romanciers, dont la benjamine, Marianne Paulot, a 14 ans (l'Envolée, Belfond), sont aussi entrés dans l'arène. La publication des premiers romans était ainsi en nette augmentation.

Événement de l'automne, c'est un premier roman, justement, qui a reçu le prix Goncourt : les Champs d'honneur (Minuit), écrit par un inconnu, Jean Rouaud, marchand de journaux à Paris. Comme si les jurés avaient voulu revenir à la vocation d'origine du prix : encourager le talent d'un jeune écrivain. Dans le lot de nos premiers romans, certains étaient le fait d'auteurs ayant déjà atteint la notoriété dans le domaine de l'essai et de la philosophie, comme Julia Kristeva, qui, à travers les Samouraïs (Fayard), a dressé la chronique de sa génération intellectuelle, marquée par des figures aussi fortes que celles de Sollers ou de Barthes.

De bonnes surprises

Parmi les révélations de l'année, citons Lydie Salvayre, qui a donné la preuve d'un tempérament superbe de violence avec la Déclaration d'un homme suffoquant de haine et descendant peu à peu au bout de la nuit (Julliard). Car noirs étaient les thèmes romanesques de la jeune génération. La folie, encore, y avait sa place, par exemple dans Que le jour aille au diable, de Jean-Louis Bourdon (Flammarion), et dans la Nuit d'Adrien Laure, de François Thibaux (Lattès). Elle a pris les couleurs du cauchemar dans Calvaire des chiens, de François Bon (Minuit). Enfin, René Belletto, qui nous avait habitués à des récits de manipulations machiavéliques, ne nous a pas surpris avec sa Machine (POL).

Mais la passion et le désir ont aussi donné matière à de la bonne littérature. Dans la Nuit des masques, de Marc Lambron (Flammarion), tout commence dans la légèreté du jeu et finit par une vraie guerre d'amour. Jean-Marie Rouart s'est révélé l'écrivain du fiasco amoureux à travers un récit inquiet et vinaigré : le Voleur de jeunesse (Grasset). Sur le mode de la rupture se conjuguait aussi Rire et pleurer, de François Weyergans (même éditeur). Quant à Alexandre Jardin, il a été le reflet, plutôt sage et mesuré, de ce qu'on appelle « le nouveau romantisme » ; Fanfan, histoire d'amour à l'atmosphère de repli douillet, a plu à la jeunesse (Flammarion). Quand les romanciers ne vivaient pas l'amour, ils partaient à la recherche des idylles passées. Ainsi, Michel Déon avec Un souvenir (Gallimard). Cueillir un souvenir et le remettre en scène : Angelo Rinaldi a choisi le même chemin pour sa Confession dans les collines (Gallimard).