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Idées

En commémorant le dixième anniversaire de la mort de Jean-Paul Sartre, on a moins rendu hommage à sa philosophie, actuellement un peu oubliée, qu'à l'intellectuel engagé dans la cité et témoin de son temps. Car il nous manque aujourd'hui un semblable jongleur d'idées, quelque fou de l'intelligence qui revivifierait un débat intellectuel languissant, une pensée politique en jachère.

On cherche un homme libre

Parmi de rares auteurs d'ouvrages politiques, Claude Quin, économiste communiste, a proposé des Idées neuves pour sociétés en crise (Messidor) ; quant à la droite, elle n'a toujours pas trouvé son théoricien. Un seul livre, peut-être, a permis d'ouvrir le débat : la Chienne qui miaule, de Philippe de Villiers (Albin Michel), pamphlet soutenant l'efficacité économique du libéralisme.

Le temps est à la Mélancolie démocratique (le Seuil). Selon l'auteur, Pascal Bruckner, notre système se trouve comme momifié par trop d'autosatisfaction et aurait bien besoin de défis ou de périls nouveaux pour se revitaliser. Peut-être les bouleversements géopolitiques récents en Europe et hors d'Europe nous amèneront-ils, en modifiant nos vieilles façons de voir le monde, à mieux définir notre identité nationale.

La complexité de nos sociétés a inspiré au sociologue Jean Baudrillard une théorie du chaos : la Transparence du mal (Galilée). Cet « essai sur les phénomènes extrêmes » repère les dérèglements de fond qui rappellent à l'ordre un monde sans lois. Denis Rosenfield aussi remet à l'ordre du jour le concept de mal (Du Mal, chez Aubier), et François-Henri de Virieu réfléchit sur la Médiacratie (Flammarion), en redoutant qu'aujourd'hui toute vérité ne puisse être que médiatique.

Mais quelles réponses philosophiques donner à cette fin de siècle, alors que les années 80 ont été souvent définies comme une ère de ruptures : « postmoderne », « postmarxiste » ou même « postfreudienne » ? Les années 90 seront-elles celles de « l'après-crise » ? Pour certains, les espérances autrefois investies dans les idéologies sont en train de se transférer sur l'économie. Tous ne sont pas de cet avis. Selon Fabio R. Fiallo (Labeur et rareté, éd. du Tricorne), non seulement la croissance ne résout ni le chômage ni les inégalités, mais elle n'améliore pas non plus la qualité de la vie ; au contraire, elle nous soumet toujours davantage aux diktats du travail, en continuant à créer de nouveaux besoins.

Heureusement, quelques personnalités perçoivent quand même, parmi tous ces symptômes de mort, les prémices d'une renaissance. Michel Serres, qu'on appelle déjà « le philosophe du nouveau monde », propose des engagements positifs face à l'inquiétude écologique : il nous invite à méditer sur la fragilité de la terre et à repenser notre relation à la nature avec laquelle il faut conclure un Contrat naturel (éd. François Bourin) en cessant de croire que la science humaine peut régir et soumettre impunément tout l'univers.

Pour d'autres, une solution au malaise actuel serait à trouver dans une convivialité entre les citoyens : Jean-François Six croit venu le Temps des médiateurs (le Seuil). Selon Jean-René Ladmiral et Edmond-Marc Lipiansky, la Communication interculturelle s'impose dans nos cités cosmopolites, aidée de nouvelles formes de solidarité et de dialogue ; à moins qu'une meilleure cohésion du corps social ne naisse aussi d'une philosophie de l'hédonisme au quotidien. C'est l'avis de Michel Maffesoli, pour qui le fait d'éprouver quelque chose ensemble exalte le sentiment tribal (Pour une éthique de l'esthétique, Plon). Jacques Rigaud, homme de radio et de communication, met sa foi dans la culture. La Libre Culture (Gallimard) est l'une des composantes du sens de la vie, le rayonnement d'une nation, et l'un des défis de notre avenir.

Le retour du cynisme s'est traduit par plusieurs parutions : Cynismes, de Michel Onfray (Grasset), et le Penseur sur scène, de Peter Sloterdijk (Christian Bourgois), révèlent la modernité du personnage de Diogène, provocateur dévoilant les artifices de la comédie humaine. On pourrait aussi rapprocher de ces modes de pensée le nihilisme propre à Schopenhauer, en relisant l'ironique Art d'avoir toujours raison (Circé), ainsi que Douleurs du monde, également réédité cette année.