Journal de l'année Édition 1991 1991Éd. 1991

Panorama

En 1989, pour le bicentenaire, les peuples de l'Europe de l'Est avaient renversé l'un après l'autre des régimes qui ne tenaient, pour la plupart, que par la peur du gendarme soviétique. 1990 a consacré et institutionnalisé cette formidable rupture. En fin d'année, après l'élection de Walesa à la présidence de la République polonaise, la Roumanie était le seul des pays du pacte de Varsovie à conserver à sa tête des communistes. Encore prétendaient-ils ne plus l'être.

Gorbatchev a dû se résigner non seulement à la réunification de l'Allemagne, mais à son maintien dans l'OTAN. Il est vrai qu'en échange Kohl a réduit son armée, reconnu « définitivement » la frontière Oder-Neisse et, surtout, versé des milliards de deutsche Marks dans le tonneau des Danaïdes d'une économie soviétique à ce point délabrée qu'il a fallu introduire le rationnement dans les grandes villes. Les Républiques baltes et la Géorgie sont en état de sécession virtuelle. L'Ukraine s'apprête ouvertement à suivre leur exemple. La Russie elle-même s'est donné, avec Boris Eltsine, un président fort en gueule, toujours prêt à en remontrer à « Gorby ». À ce dernier, il reste à faire exécuter ses ordres dans un empire où aucun corps social, sauf peut-être le KGB, n'échappe à la perte de motivation, sinon à la démoralisation.

Réunification de l'Allemagne, évacuation progressive de l'Europe orientale, réduction massive des armements et des effectifs, mise en veilleuse d'un pacte de Varsovie dont la Hongrie est déjà sortie sans encombre, dégagement progressif de l'URSS de ses aventures extérieures, y compris la cubaine : la guerre froide est bien finie. À peine est-elle achevée qu'on parle déjà de « guerre civile » à propos de l'URSS ou de la Yougoslavie. Le Cambodge, l'Inde, l'Afghanistan, le Liban, l'Éthiopie, le Tchad, le Ruanda, l'Afrique australe, le Liberia et d'autres encore viennent d'être, ou sont encore, rongés par des luttes fratricides.

C'est du Proche-Orient cependant que sont venues une fois encore, les plus graves nouvelles. L'invasion du Koweït par l'Irak, le 2 août, vite suivie de son annexion, l'a ramené, et, derrière lui, la terre entière, au bord du gouffre qu'avec la fin de la guerre froide on croyait refermé.

Pour pousser Saddam Hussein à évacuer le Koweït, les Nations unies ont successivement adopté, avec le soutien remarqué de Moscou, une série de mesures allant d'un embargo général au feu vert pour l'utilisation de l'immense armada réunie dans le Golfe par les États-Unis et leurs alliés, au premier rang desquels la Grande-Bretagne et la France. Saddam a cru trouver la parade en transformant en otages tous les étrangers se trouvant sur son sol. Mais le chantage s'est retourné contre lui et il a dû finalement se décider à les libérer, dans l'espoir de décourager Bush de mettre à exécution son ultimatum expirant le 15 janvier.

Les couleurs de la crainte

Ceux qui ont essayé de jouer les intermédiaires, mandatés ou non, parlent tous d'un marchandage dont Israël, qui vit mal la montée de violence de l'intifada, redoute de faire les frais. Jusqu'à présent, Saddam Hussein n'a tiré aucun profit de la crise, qui n'a bénéfice qu'à deux de ses ennemis : l'Iran, auquel il a rendu tout ce qu'il lui avait pris pendant la guerre, la Syrie, qui a pu faire impunément main basse, à Beyrouth, sur le réduit chrétien du général Aoun.

L'URSS étant accaparée par ses problèmes internes, l'Allemagne et le Japon semblant peu tentés de jouer les puissances mondiales, chacun a pu constater, à la lumière des événements du Golfe, que les États-Unis, malgré leur énorme endettement, la récession, la chute du dollar, la drogue, la violence qui ravage leurs villes, sont aujourd'hui le seul « supergrand », le seul « gendarme » de la planète. C'est une situation à laquelle l'Europe peut difficilement se résigner alors que paraît devoir s'engager une véritable guerre commerciale entre les deux rives de l'Atlantique.

Le soudain départ de la scène de la « dame de fer » va-t-il permettre de donner à la construction de l'union politique et monétaire le nouveau dynamisme que réclament Kohl et Mitterrand ? Il faut d'autant plus l'espérer que la puissance de l'Allemagne unie a besoin d'être encadrée et équilibrée.