Europe – 3

Trois ans avant la naissance de l'Europe, les responsables s'agitent de plus en plus fébrilement autour du berceau.
Et les événements qui surviennent chez les cousins de l'Est ne font qu'ajouter à la confusion...

Année charnière dans l'histoire des relations mondiales de l'après-guerre, 1989 restera celle qui a pris la Communauté européenne par surprise. Les brèches effectuées dans le mur de Berlin le 9 novembre ébranleront-elles les fondements de la CEE ? Les changements, aussi brutaux qu'inattendus, qui affectent l'ensemble des pays du pacte de Varsovie, et surtout la République démocratique allemande, contribueront-ils au renforcement des liens au sein de la Communauté ? Accéléreront-ils, ou au contraire ruineront-ils – pour reprendre une métaphore répandue – l'édification de ce bâtiment sans toit mais dont quelques étages sont déjà construits ? Quand bien même chacun se réjouit de voir un certain « ordre établi » prendre fin, à compter du 9 novembre les interrogations se multiplient autour de la « question allemande » et donc de l'avenir de l'Europe communautaire.

Avant que ces événements n'interviennent, la Communauté concentrait ses efforts sur l'Union économique et monétaire, dont l'aboutissement logique est l'union politique des Douze. Les tractations entreprises pour enclencher ce processus auront occupé toute la fin de la présidence espagnole de la Communauté (premier semestre 1989) et l'essentiel de la présidence française (deuxième semestre).

Mais cette année est aussi celle qui rapproche les Européens de l'« échéance 93 » ; la mise en œuvre du marché unique et la perspective d'une Europe sans frontières occupent les esprits... Espoirs, inquiétudes et questions sont mêlés.

« Objectif 93 »

À l'approche du 1er janvier 1993, date devenue mythique, le tissu social, et surtout économique, se mobilise. Les entreprises se préparent à affronter la concurrence attendue des onze pays voisins ; elles fusionnent, forment leur personnel, se modernisent. Soucieux de voir naître l'« Europe sociale » qu'on leur a promise, les syndicats sont sur la brèche. De leur côté, Américains et Japonais redoutent de plus en plus l'édification d'une « Europe forteresse », c'est-à-dire la réalisation d'un marché très puissant dont ils seraient exclus. Bref, l'« objectif 93 » remplit son rôle de « nouvelle frontière » (économique s'entend).

En février 1986, afin de relancer une machine en veilleuse (depuis la signature du traité de Rome en 1957, aucune avancée notable n'avait été effectuée), les Douze avaient signé l'Acte unique, un instrument au service de la réalisation du marché unique. Une échéance était fixée : le 1er janvier 1993. À partir de cette date, la libre circulation des personnes, des biens, des capitaux et des services doit être assurée. La mise en œuvre de ce principe se révèle un véritable casse-tête. D'autant que plus l'on s'approche de la date fixée, plus les compromis sont difficiles à élaborer entre les Douze. En 1989, les présidences espagnole puis française l'apprennent à leurs dépens.

Parmi les échecs : le report du projet d'harmonisation de la fiscalité indirecte, c'est-à-dire du rapprochement des taux de TVA et des accises (les taxes sur les alcools, les carburants et les tabacs). Le 9 octobre, les douze ministres de l'Économie et des Finances ajournent le principe de rapprochement des taux de TVA et rejettent le plan d'harmonisation proposé par la Commission européenne. Aucun accord non plus n'est trouvé dans le domaine de la fiscalité de l'épargne. Et pourtant, le temps presse : c'est le 1er juillet 1990 que doit entrer en vigueur la directive (« loi » européenne) permettant la libre circulation des capitaux. À cette date, il faudra avoir pris des mesures afin d'empêcher les fraudes et l'évasion fiscales.

Les gouvernements réalisent par ailleurs que les obstacles auxquels se heurte l'ouverture des frontières physiques sont beaucoup plus nombreux qu'ils ne pouvaient l'imaginer. Comment assurer la sécurité des citoyens, comment régler les questions de l'extradition, de la lutte contre la drogue, des contrôles dans les ports et les aéroports, une fois les frontières intracommunautaires supprimées ? Des groupes d'experts y réfléchissent au niveau des Douze, mais aussi à celui des cinq pays (Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas, RFA) qui ont signé en 1985 « l'accord de Schengen ». Fin 1989, les membres du « groupe de Schengen » espèrent que les travaux aboutiront prochainement à la signature d'une convention qui organiserait l'ouverture de leurs frontières communes en 1991.