Les retrouvailles d'Alger

Convoqué sur l'initiative du président algérien Chadli Bendjedid, le 4^e sommet extraordinaire de la Ligue arabe, qui se tient à Alger du 7 au 9 juin, réunit dix-sept rois ou chefs d'État venus participer à ces « retrouvailles générales » consacrées à la question palestinienne.

Pour Yasser Arafat, qui a été invité à cette réunion après avoir été quelque peu oublié lors du sommet d'Amman de novembre 1987, celui d'Alger ressemble fort à une revanche. Au-delà du soutien financier apporté au soulèvement palestinien – l'Intifada – déclenché en décembre 1987 en Cisjordanie et à Gaza, c'est un appui politique qu'est venu chercher le chef de l'OLP. C'est aussi ce qu'il obtient de l'ensemble des dirigeants présents à Alger. Les États arabes s'engagent à lui verser une aide d'urgence de 123 millions de dollars ainsi qu'une allocation mensuelle de 43 millions ; surtout, l'OLP est une nouvelle fois reconnue comme le « seul et légitime représentant du peuple palestinien pour conduire la lutte jusqu'à l'établissement d'un État indépendant ».

Les conclusions du sommet de Fès de 1972 sont reprises comme projet de base à toute solution politique. Celles-ci prévoient la création d'un État indépendant, après une période intérimaire de quelques mois pendant laquelle les territoires occupés passeraient sous le contrôle de l'ONU, et reconnaissent le droit à l'existence de tous les États de la région, c'est-à-dire, implicitement, celui d'Israël. Enfin, les dirigeants arabes réaffirment leur engagement en faveur d'une « conférence internationale sous l'égide de l'ONU », sans préciser toutefois les formes que pourraient prendre les négociations

Le 10 juin, toujours à Alger, le sommet de la Ligue arabe est suivi d'une autre conférence qui réunit, pour la première fois depuis l'indépendance de leur pays, les chefs des cinq États du Maghreb : Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie, et Tunisie. La réconciliation algéro-marocaine, survenue le 16 mai après une rupture de douze ans due au conflit du Sahara occidental, sert de toile de fond à cette rencontre. La première visite à Alger du roi Hassan II depuis 1973 soulève l'enthousiasme des Algérois.

À l'issue de ce sommet, si aucune décision spectaculaire n'est annoncée, les cinq dirigeants affirment leur intention de « mettre en œuvre les moyens de concrétiser le Grand Maghreb arabe ».

Le fil d'Ariane

Avec un lancement parfait, une mise en orbite impeccable de trois satellites le premier tir d'essai d'Ariane-4, le nouveau lanceur lourd européen, effectué le 15 juin à partir du centre spatial de Kourou en Guyane, est un grand succès. Le premier étage, qui est l'élément nouveau de la fusée, a très bien fonctionné, ainsi que les quatre propulseurs d'appoint fixés sur ses flancs pour accroître ses performances, et M. Hubert Curien, ministre délégué chargé de la Recherche, ancien président du Centre national d'études spatiales n'a même pas attendu que la combustion du 3^e étage soit achevée pour assurer : « Nous n'avions jamais douté d'Ariane. »

Quinze ans après l'inauguration de la politique spatiale européenne en 1973 et presque neuf ans après le premier tir d'Ariane, en décembre 1979, suivi de 22 autres, l'aventure continue et, grâce à ce premier lanceur lourd, entre dans une nouvelle phase.

L'évolution rapide du marché des satellites, dont la taille et le volume n'ont cessé d'augmenter, exigeait la création d'un modèle pouvant mettre en orbite des charges utiles sans cesse accrues. À Ariane-2 et à Ariane-3, limitées respectivement à 2,17 et à 2,70 tonnes succède ainsi Ariane-4, qui peut transporter jusqu'à 4,20 tonnes « Fer de lance de l'Europe spatiale », la fusée sera construite en six versions différentes pour tenir compte de la quantité et de la variété des satellites 70 engins doivent être lancés dans les dix prochaines années. Ainsi voit-on se dessiner un nouveau transport spatial à la demande. Aujourd'hui en position de force, la société Arianespace doit pourtant rester vigilante si elle veut conserver et augmenter ses parts de marché avant l'an 2000. Son objectif est de « rafler dix des vingt satellites » que le monde occidental enverra chaque année dans l'espace après 1992. Ariane a beau avoir conquis plus de la moitié du marché mondial du lancement de satellites commerciaux depuis le début de son programme, la concurrence s'organise. L'arrivée des fusées américaines Delta, Atlas et Titan n'est pas sans inquiéter les Européens qui s'attendent également à une percée commerciale de la Chine et de l'URSS.

De belles années s'annoncent pourtant pour Arianespace dont le carnet de commandes, bien rempli, atteint déjà 15,1 milliards de francs. À Kourou, la construction d'Ariane-5 a commencé. Ce nouveau lanceur pourra mettre en orbite soit des satellites lourds qui atteindront 6,8 tonnes soit l'avion Hermès d'une vingtaine de tonnes. Le premier tir est prévu pour 1995.

Paris on the rock

L'ère du rock-contestation des années 60 est bien révolue. La musique qui entraîne ce mois-ci les Parisiens de podium en podium prend la défense de causes largement partagées quand elle n'est pas l'expression de motivations exclusivement commerciales.

Rock-charité des concerts organisés simultanément à Paris, New York et Dakar par SOS-Racisme, le 18 juin, afin de dénoncer l'apartheid en Afrique du Sud et toutes les formes de racisme. Le thème est mobilisateur. Il a déjà réuni 72 000 spectateurs au stade de Wembley à Londres le 11 juin, autour d'un gigantesque concert en hommage à Nelson Mandela pour son 70^e anniversaire. Le 18, ils sont 300 000 à venir écouter sur l'esplanade de Vincennes le rock mêlé de raï, de reggae ou de biguine d'une quarantaine d'artistes en majorité africains Le message de soutien envoyé par le président François Mitterrand parle de musique et de fraternité : « De toutes les formes de dialogues entre les hommes, c'est celle qui se joue des frontières ». Mais, si 40 000 personnes se rassemblent autour de Harlem Désir au stade Demba-Diop de Dakar, ils sont seulement 400 à l'Apollo Theater de New York.

Rock-business, d'autre part, des tournées très calculées des rockstars-capitaines d'industrie, qui ne se produisent pas à moins de 50 000 spectateurs à 150 F, quitte à annuler.

À en croire ses dernières chansons, Bruce Springsteen, le fils d'ouvrier du New Jersey, que viennent applaudir 60 000 spectateurs à l'hippodrome de Vincennes, le 19 juin, ne croit plus au salut par le rock'n'roll. Les garanties financières que lui assure son producteur français s'élèvent toutefois à 4 millions de francs, auxquels s'ajoute un pourcentage sur les entrées.

Les Français aiment toujours les Pink Floyd dont ils avaient acheté, à plus d'un million d'exemplaires, l'album « Dark Side of the Moon ». Les 21 et 22 juin, sur l'esplanade du château de Versailles, David Gilmour, Rick Wright et Nick Mason distillent devant 160 000 spectateurs leur « space rock » en quadriphonie, accompagné d'un jeu de lumières très sophistiqué. Pourquoi les trois quadragénaires ont-ils repris la route après une retraite de plus de dix ans ? « L'argent est une des raisons de cette tournée », avoue David Gilmour.

24 semi-remorques pour 81 tonnes de matériel, une équipe de 120 personnes : comparée à ses spectacles américains la série de concerts européens de Michael Jackson fait pourtant figure de tournée provinciale. RTL et NRJ se disputent âprement le droit d'associer leur nom aux concerts des 27 et 28 juin donnés au Parc des Princes par le « zombie californien du rock » devant 120 000 spectateurs « seulement », dont la plupart ne voient gesticuler leur idole que sur l'écran géant disposé derrière la scène. En juillet, Paris recevra Prince.

Les indics de Jobic

Nom : Jobic ; prénom : Yves ; profession : commissaire de police, chef des unités de recherche de la 1^ere division de police judiciaire (DPJ) de Paris. Le 22 juin, le commissaire Jobic, qui avait été inculpé de proxénétisme aggravé et de corruption passive le 28 novembre 1987, mais laissé en liberté, est écroué à la maison d'arrêt de Bois-d'Arcy par M. Jean-Michel Hayat, juge d'instruction au tribunal de Nanterre. Une dizaine de prostituées de la rue de Budapest (Paris IX^e) accusent le commissaire de leur avoir extorqué de l'argent en échange de sa protection. L'inculpé nie toute participation à cette affaire et accuse le juge Hayat de vouloir faire de son procès un procès politique.

Yves Jobic est-il victime d'une vengeance du milieu ? A-t-il été contaminé par la pègre ? Les preuves concrètes sont rares mais les témoignages, qui émanent pour la plupart de prostituées ou d'« indics », sont troublants. Des enregistrements de conversations téléphoniques révèlent les relations très étroites établies entre le commissaire et l'un de ses principaux informateurs, Jean Moustapha. De plus, l'existence éventuelle d'un pot-de-vin de 25 000 F est invoquée pour expliquer l'extraction apparemment injustifiée d'un prisonnier de sa cellule par le policier. Ce détenu, frère de Jean Moustapha, avait été écroué en 1986 pour infraction à la législation sur les stupéfiants, et c'est précisément son inculpation par le juge Hayat qui avait entraîné celle d'Yves Jobic en novembre 1987.

Le 27 juin, le juge Hayat rejette la demande de mise en liberté présentée par le commissaire. Confronté de nouveau avec ses accusatrices le 1^er juillet, ce dernier maintient ses dénégations et justifie son action par les nécessités de son service.

Le 7 juillet, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Versailles prononce la remise en liberté d'Yves Jobic, mais le place sous contrôle judiciaire. Il reste inculpé de proxénétisme aggravé et devra répondre à la requête du parquet de Nanterre pour les faits de « subornation de témoins » qui lui sont imputés.

À travers « l'affaire Jobic » est ainsi mise en lumière la technique délicate qu'est la manipulation d'indicateurs par la police et les limites que celle-ci ne doit pas dépasser.

Le train fou

Lundi 27 juin, 19 h 08. Lancé à une vitesse de 70 à 80 km/h, le train Melun-Paris pénètre dans le troisième sous-sol de la gare de Lyon et percute une autre rame de banlieue en partance pour Villeneuve-Saint-Georges. Bilan de la catastrophe : 56 morts, tous passagers du train à quai.

C'est le système de freinage qui n'a pas fonctionné. Le déclenchement du signal d'alarme par un inconnu avait arrêté le Melun-Paris à la hauteur de la gare de Vert-de-Maisons, dans le Val-de-Marne. Lorsqu'il avait pu repartir, les freins de sept de ses huit voitures étaient hors service. Le conducteur s'en aperçut trop tard, et le convoi roulait sans pouvoir être dévié jusqu'à la gare souterraine, où il chevauchait et écrasait le train de Villeneuve-Saint-Georges.

L'accident paraît dû à une erreur humaine. Un circuit de freinage n'a pas été remis en fonctionnement après l'arrêt forcé du train. La question du rôle de l'homme dans le processus de sécurité ferroviaire est ainsi de nouveau posée. Dans un système aussi complexe, une fausse manœuvre peut transformer en catastrophe un incident mineur. Mais, pour les syndicats les véritables causes de l'accident sont à rechercher du côté des économies budgétaires et des suppressions d'emploi. Près de 10 000 départs ont lieu chaque année depuis quatre ans à la SNCF. La CFDT réclame une « table ronde sur la sécurité » ; la CGT insiste pour que les salariés soient associés à l'enquête ; le collectif des cheminots met en cause le règlement et accuse la société nationale de ne pas prendre le temps d'une réflexion approfondie ; et la Fédération des associations d'usagers des transports dénonce « l'engorgement du réseau de banlieue ». Le 30 juin. M. Michel Delebarre, ministre des Transports, affirme que « des mesures immédiates de prévention et d'équipement vont être prises » ; quelques jours plus tard, M. François Mitterrand demande que les exigences de sécurité soient fermement respectées dans les transports en commun.

Mais la série noire continue : à Toulouse, le 18 juillet, 18 personnes sont blessées lors d'une collision, et le défaut d'un système de freinage provoque un nouvel accident, le 6 août, en gare de l'Est, à Paris. Un passager est tué et 56 autres blessés.

Le gouvernement décide alors de prendre des sanctions M. Philippe Rouvillois président de la SNCF depuis le mois de février, est prié de démissionner ; il abandonne ses fonctions le 7 août et il est remplacé dès le 24 par M. Jacques Fournier, président de Gaz de France.

Le mois de Gabriel Matzneff

Au printemps 1967, j'assistai à un office de matines dans une paroisse orthodoxe de Moscou, en compagnie d'un ami soviétique, le peintre Anatole B. La douceur du chœur de femmes chantant l'hymne « Mère de Dieu et Vierge, réjouis-toi » était extrême. Nous sortîmes de l'église bouleversés par la déchirante tendresse de ce que nous venions de vivre.

« Ce qu'il y a d'affreux, soupira mon ami peintre, c'est que cette beauté est une beauté condamnée. Tout cela ne signifie plus rien pour personne. C'est un langage codé dont les Russes ont perdu la clef. »

Je ne partageais pas son pessimisme. Cependant, les persécutions que subissaient alors les croyants étaient telles que je ne pouvais, même en rêve, imaginer que vingt et un ans plus tard, en juin 1988, la Russie allait célébrer le millénaire de son baptême dans une extraordinaire atmosphère d'allégresse et d'espérance.

Certes, les Soviétiques ne goûtent encore que les prémices, les signes avant-coureurs de la liberté religieuse. Pourtant, le 12 juin, deuxième dimanche après la Pentecôte et fête de Tous les Saints russes, les quinze mille fidèles qui, au monastère moscovite Saint-Daniel, récemment rendu au culte, ont participé à la liturgie eucharistique, sentaient bien qu'un vent pentecostal printanier, faisait passer son souffle sur leurs têtes.

Une semaine auparavant, du 6 au 9 juin, un concile local de l'Église russe, le premier depuis 1917, s'était tenu à la laure de la Trinité-Saint-Serge. Il avait procédé à la canonisation de neuf nouveaux saints, annoncé la restitution à l'Église de nombreux lieux de culte (dont une partie des grottes de Kiev, berceau du monachisme russe), celle des reliques conservées dans les cathédrales du Kremlin, l'ouverture prochaine de séminaires à Kiev, Jirovitzi. Novossibirsk. Surtout, ce concile de la renaissance a élaboré un statut ecclésial qui préfigure la loi sur les cultes qui. avant la fin de l'année, devrait remplacer la législation draconienne en vigueur depuis 1929.

Au même moment, le 13 juin, dans un petit village des Yvelines, mourait Maxime Kovalevsky. Né en 1903 à Saint-Pétersbourg, émigré à Paris en 1920, ce théologien, ce musicologue, ce chef de chœur aura été un des principaux artisans du rayonnement de l'Église orthodoxe en France. Il est un de ceux qui. en transfigurant la tragédie de la guerre civile, de l'exil, ont transmis à l'Occident le trésor spirituel et liturgique de l'Église russe. Aujourd'hui, en France, en Belgique, en Suisse, chaque paroisse orthodoxe francophone doit quelque chose d'essentiel à Maxime Kovalevsky.

« Maintenant, Maître, laisse aller en paix Ton serviteur... » Grâce au sacrifice des modernes martyrs du goulag, grâce à l'apostolat d'un Maxime Kovalevsky, les cierges qui brûlent devant nos icônes, à Paris comme à Moscou, ne s'éteindront pas.

Gabriel Matzneff