Les turbulences financières internationales

1988 a été l'année des interrogations. Les optimistes pensent que les leçons du krach d'octobre 1987 ont été comprises, mais les pessimistes s'inquiètent de la fragilité du système. Tous cherchent à comprendre le rôle de la « bulle spéculative » dans le déclenchement de la crise.

C'est dans un climat de prospérité, voire d'euphorie des marchés financiers que les cours des valeurs mobilières se sont effondrés brutalement le 19 octobre 1987 sur les principales places boursières des grands pays industrialisés. Immédiatement, on s'est demandé si l'économie « réelle » (celle des données fondamentales) et la « sphère » financière (la monnaie et l'épargne) allaient être affectées par le krach survenu à Wall Street, et si celui-ci allait dégénérer en une crise économique et financière comparable à celle de 1929. Dans un second temps, on a cherché à savoir ce qui avait bien pu mettre fin à l'indéniable prospérité financière et à la hausse des actions ou encore comment l'une et l'autre pouvaient être rendues responsables du krach boursier.

La prospérité des marchés

Après une longue période de stabilité, sinon d'atonie, les marchés financiers connaissent un développement spectaculaire à partir des années 1980-1981. Celui-ci apparaît à travers le volume des affaires traitées ; il atteint des chiffres considérables. Ainsi, les revenus bruts des vingt plus grandes maisons de titres (investment banks) américaines sont passés de 4 à 50 milliards de dollars de 1975 à 1985, et représentent plus de 1 % du produit national brut des États-Unis, dans un pays où l'épargne nette est tombée à moins de 5 % de ce même PNB. Par ailleurs, en raison de l'internationalisation des marchés financiers, la croissance des affaires traitées a suscité sur le marché des changes un accroissement exponentiel des transactions quotidiennes, qui, en 1987, ont atteint 200 milliards de dollars environ par jour sur les trois marchés financiers mondiaux les plus importants, soit 25 fois les transactions journalières liées directement au commerce international. Avec un tel chiffre, les besoins en devises des marchés financiers dépassent ceux qui sont liés à ce commerce. En conséquence, les taux de change ne se déterminent plus seulement en fonction des données fondamentales (volume des échanges extérieurs), mais en fonction des besoins en devises de la « sphère financière ». Grâce à elle, les banques réalisent collectivement des profits nets de plusieurs milliards de dollars ; aussi, le nombre des cambistes dans le monde est-il passé de quelques centaines en 1970 à plus de 40 000 en 1987.

Une telle prospérité a hypertrophié les marchés financiers ; elle les a rendus également boulimiques. Pour survivre, il fallait que soit traité un nombre croissant d'opérations, de telle sorte qu'un mouvement de hausse des actions puisse s'entretenir de lui-même et se poursuivre longtemps, surtout si les opérateurs croient à la hausse et si aucun événement défavorable ne survient.

La progression des cours a été impressionnante. De 1982 à 1984, le mouvement de hausse a démarré lentement, puis s'est accéléré pour culminer en 1987 à des sommets inégalés par la suite : le chiffre record a été atteint en mars à Paris (indice CAC 460,4), en août à New York (indice Dow Jones 2 722,4), en juillet à Londres (indice FTSE 1 926,2) et en septembre à Tokyo (indice Nikkei 26 646,4).

Dans une première phase (1982-1984), la hausse des cours boursiers a été regardée comme un rattrapage par rapport à la stagnation des années 1970-1980. Par ailleurs, la hausse était fondée dans la mesure où la croissance de l'économie américaine avait repris et, avec elle, les profits des entreprises. Cependant, dans une deuxième phase (1985-1987), on a observé que la hausse des cours boursiers se poursuivait à un niveau encore plus élevé alors que la croissance se ralentissait aussi bien aux États-Unis qu'en Europe et que les profits tendaient à baisser.

Dans ces conditions, on en venait à souligner que les médiocres performances de l'économie réelle ne pouvaient plus justifier la prospérité de la sphère financière et à estimer ainsi que l'économie financière était déconnectée de l'économie réelle.