Écône : les sacres de la rupture

En sacrant quatre évêques le 30 juin à Écône, Mgr Lefebvre a franchi un pas décisif dans le conflit qui l'oppose depuis 14 ans au Saint-Siège. Sa dissidence prend sa source dans la contestation des textes du concile Vatican II et le refus des réformes liturgiques qui suivirent. Elle est un élément de la crise d'identité que traverse aujourd'hui l'Église catholique.

Le mot de schisme se confond avec les pages les plus tourmentées de l'histoire de l'Église. Au xie siècle, le schisme byzantin sépare les Grecs et les Latins, l'Orient et l'Occident, Constantinople l'orthodoxe et Rome la catholique. Aux xive et xve siècles, le « grand schisme » coupe la chrétienté d'Occident en deux obédiences rivales, le pape de Rome et celui d'Avignon. Au xvie siècle, les dernières grandes fractures furent le fait de la Réforme, avec le « schisme anglican » d'Henri VIII et les « hérésies » de Luther et de Calvin.

Depuis plus d'un siècle (1870), c'est-à-dire depuis la séparation de l'Église « vieille-catholique », qui a suivi la proclamation du dogme de l'infaillibilité pontificale, l'Église romaine n'avait pas connu de schisme, grand ou petit. Avec la consécration par Mgr Marcel Lefebvre de quatre évêques sans autorisation du pape, les fidèles catholiques et les observateurs ont dû se familiariser à nouveau avec le vocabulaire de la rupture (« monition », « excommunication », « schisme ») qu'ils croyaient versé aux oubliettes de l'histoire.

Très traditionnel également avait été le déroulement des sacres épiscopaux, le 30 juin 1988 à Écône, dans le Valais suisse, au cours d'une cérémonie célébrée devant 7 000 à 8 000 pèlerins, accourus de France, de Suisse, d'Italie, d'Allemagne et même d'Afrique – où Mgr Lefebvre avait été missionnaire – pour assister à l'événement. Sous sa lourde chasuble dorée, dans un ballet minutieusement réglé d'archidiacres, de diacres et de porte-insignes (crosses et mitres), couverts de leur cape, de leur tunique ou de leur dalmatique (selon le rang hiérarchique), l'évêque français de quatre-vingt-trois ans, fondateur du séminaire d'Écône, allait faire les gestes et prononcer les paroles rituelles de consécration qui devaient entraîner de fait, automatiquement, son excommunication.

La discipline de l'Église catholique ne transige pas, en effet, avec le principe de la succession apostolique. Le sacre d'un évêque est un privilège réservé au seul pape, un acte qui ne peut être accompli qu'avec son mandat. Le pape est le « vicaire du Christ » sur la terre, qui avait Lui-même choisi ses apôtres. Les précédents schismes avaient eu lieu pour des motifs personnels, politiques, ou portaient sur des désaccords théologiques précis. Dans le cas présent, c'est un évêque se réclamant de la Tradition qui rompt avec l'un des principaux piliers de l'Église bimillénaire, à savoir l'unité du collège apostolique autour de son chef, le pape.

Pour la même raison, les quatre jeunes prêtres consacrés évêques par Mgr Lefebvre, le Français Bernard Tissier de Mallerais, l'Anglais Richard Williamson, l'Argentin Alfonso de Galaretta et le Suisse Bernard Fellay devaient encourir la même peine d'excommunication, rendue officielle par le Vatican, moins d'une heure après la cérémonie.

Des racines anciennes

Mgr Lefebvre devait plaider l'« état de nécessité », inscrit au droit canon, pour poursuivre, grâce à des évêques, et aux prêtres qu'ils ordonneront, la véritable Tradition, face à « la vague d'apostasie que traverse aujourd'hui l'Église ». Il devait se défendre de vouloir créer « une Église parallèle » ; mais sa contestation, qui, au fil des ans, n'avait cessé de s'amplifier contre une « Église libérale » ou une « Rome infestée par le modernisme », montrait à l'évidence que le désaccord ne portait pas seulement sur les innovations liturgiques du dernier concile – comme l'abandon de la soutane ou la messe en français –, mais plongeait ses racines bien plus en avant dans l'histoire de France et dans celle de l'Église.