Le piège afghan

Le désengagement de l'URSS en Afghanistan s'avère difficile. Les attaques de la résistance et le désir des Soviétiques de sauver le régime de Kaboul retardent le départ des troupes. Ni le redoublement des combats ni la partition du pays ne sont à exclure.

Un million de morts, environ cinq millions de réfugiés – dont plus de trois millions au Pakistan et plus d'un million en Iran –, sans doute autant de personnes déplacées à l'intérieur du pays, tel était, au début de l'année 1988, le terrible bilan humain des huit années d'intervention militaire soviétique pour l'Afghanistan, qui ne compte que seize millions d'habitants. Il faut y ajouter les ruines provoquées par la politique de la terre brûlée menée par l'Armée rouge dans ce pays déjà pauvre, dont l'économie de vallées coincées entre de hautes montagnes demeure essentiellement rurale.

En dépit de ces ravages, les Soviétiques et leurs alliés locaux ne sont pas parvenus à imposer leur loi. Ils ont été contraints d'abandonner des pans entiers du territoire à différents mouvements de résistance ravitaillés, via le Pakistan, en armes chinoises et américaines. Les Soviétiques ont même perdu la maîtrise de l'air en 1986, lorsque les moudjahiddines ont été dotés de missiles antiaériens. Avec difficulté, les forces soviéto-afghanes ont tenu la plupart des grandes villes et certains axes vitaux de ravitaillement ; mais le temps semblait jouer contre elles : les mouvements de résistance accumulaient les armes, renforçaient leurs rangs et menaçaient de grands centres urbains, notamment Kandahar, deuxième ville du pays. Les Soviétiques étaient sur la défensive.

Gorbatchev n'avait pas attendu l'aube de 1988 pour prendre la « décision politique » de retirer l'Armée rouge d'Afghanistan. Tout en préparant l'opinion soviétique, où la guerre est impopulaire, à un désengagement, il avait procédé, dès octobre 1986, au retrait de six régiments. Parallèlement, au mois de mai de la même année, un dernier effort de consolidation du régime protégé de Kaboul s'était amorcé avec le remplacement à sa tête de Babrak Karmal, au pouvoir depuis 1979, par Mohamed Najibullah, ancien chef du Khad, la police secrète, devenue le véritable noyau dur militaire de Kaboul. En décembre 1986, Najibullah avait lancé sa politique de « réconciliation nationale ». Un mois plus tard, il proclamait un cessez-le-feu unilatéral et une amnistie, sans véritable lendemain.

Tirant les conclusions de sept ans d'intervention militaire – et de la difficulté à consolider les assises du régime de Kaboul face à la « guerre sainte » des moudjahiddines –, Gorbatchev profitait d'une visite officielle à Washington, en ce même mois de décembre 1986, pour confirmer que les Soviétiques allaient opérer un retrait militaire. Avec cette annonce, coïncidait la dernière offensive de leurs troupes non loin de la frontière pakistanaise, pour rouvrir l'axe Gardez-Khost et dégager cette dernière ville, encerclée par la résistance depuis plusieurs années. En janvier 1988, la route entre les deux villes était, en effet, rouverte pendant quelques jours. Mais les forces soviéto-afghanes ne cherchaient pas à la tenir trop longtemps ; la tâche était difficile et trop coûteuse.

Les pourparlers de Genève

Le 8 février, Mikhaïl Gorbatchev annonce que l'Armée rouge se retirera d'Afghanistan dans un délai de dix mois, à compter du 15 mai 1988, pour peu qu'un accord se fasse à Genève, le 15 mars au plus tard, sous garantie soviéto-américaine. Depuis 1982, un médiateur de l'ONU, M. Diego Cordovez, orchestre des négociations « indirectes » entre Islamabad et Kaboul. Le Pakistan ne reconnaît pas, en effet, le régime prosoviétique afghan. Gorbatchev veut que Moscou et Washington se portent garants d'un accord que signeraient Kaboul et Islamabad. Moyennant quoi, il offre le premier repli militaire soviétique d'un champ de bataille à l'extérieur des frontières de l'URSS. Et il ajoute qu'un tel règlement, le cas échéant, « constituera une percée dans la chaîne des conflits régionaux ».