Journal de l'année Édition 1989 1989Éd. 1989

Point de l'actualité

Le Grand Louvre

Le vendredi 14 octobre, l'air est doux, et la pyramide de Ieoh Ming Pei, qui marque l'entrée du Grand Louvre, étincelle sous le soleil. À ses pieds, la garde républicaine joue une marche de Berlioz. Le président de la République, qui vient l'inaugurer, emprunte officiellement, pour la première fois, le passage Richelieu qui fait communiquer la place du Palais-Royal avec la cour Napoléon. La plaque qui signale l'entrée du ministère des Finances est désormais remplacée par celle du musée. Derrière François Mitterrand, on reconnaît parmi les ministres, auprès de la silhouette menue du premier d'entre eux, Michel Rocard, et de la noire tignasse en bataille de Jack Lang, la carrure massive d'Émile Biasini. Pour ce dernier, ce jour est une sorte de victoire personnelle. L'actuel secrétaire d'État aux Grands Travaux a durement bataillé au temps de la cohabitation pour la poursuite de ce chantier.

Les polémiques que la construction de la pyramide, accusée de déparer un site prestigieux, avaient soulevées sont presque toutes retombées devant la simplicité de la porte monumentale imaginée par l'architecte sino-américain. Le jour de l'inauguration, François Mitterrand a beau jeu de rappeler, dans son allocution, le passé récent de la cour : « On trouvait là un square désolant, un parking en désordre et, dès que le soir tombait, un coupe-gorge. Aujourd'hui, voyez comment se sont organisées les formes autour d'une esthétique rendue vivante par la lumière et les jets d'eau. »

Mais le polyèdre de verre et d'acier qui a pris sa place au cœur du vieux palais n'est là que pour en indiquer l'entrée. Dès le début de 1989, les visiteurs emprunteront les nouveaux escalators pour pénétrer dans les entrailles du Grand Louvre. Un vaste hall leur permettra de choisir leur itinéraire. L'un des plus recherchés sera sans doute celui qui chemine à travers les fossés de l'ancienne forteresse de Philippe Auguste, dégagés pendant les travaux de rénovation de la Cour carrée. On pourra d'ailleurs avoir un aperçu de l'histoire compliquée du château, grâce à une mise en scène signée Richard Pedduzzi. Des salles permettront l'accueil d'expositions temporaires et un auditorium est prévu pour les conférences et les projections.

Cette ouverture signera la fin des travaux de la première tranche commencée en 1983. Ils auront coûté deux milliards de francs. La deuxième tranche, qui devrait officiellement s'achever en 1995, coûtera plus cher encore : trois milliards de francs. Il faut souligner qu'un tiers de cette somme sera exclusivement consacré à la restauration des façades du palais, dont la statuaire, par endroit, tombe littéralement en morceaux. Au cours de cette deuxième tranche, les locaux du ministère des Finances seront enfin affectés au musée ; le dernier fonctionnaire quittera les lieux le 14 juillet 1989. Seuls seront conservés intacts les somptueux salons du duc de Morny, vastes comme des porte-avions, exemple unique de l'art décoratif du second Empire. Les réserves abandonneront les espaces où elles sont confinées pour gagner des espaces enterrés sous la pyramide. Côté Rivoli, les deux cours ultérieures, couvertes, abriteront la sculpture française des xviie et xviiie siècles.

À la suite de ce glissement général, l'ensemble des collections du musée sera redistribué et leur présentation radicalement transformée. Les peintures, par exemple, gagneront les étages supérieurs du palais pour bénéficier de la lumière zénithale. Certaines œuvres actuellement « en caisse » faute de place (les tapisseries de la suite Scipion ou l'art islamique) seront enfin présentées au public dans les 65 000 m2 que couvrira alors le musée. Une galerie marchande reliera enfin le sous-sol de la pyramide aux parkings souterrains du Carrousel.

Après dix ans de travaux ininterrompus, le Grand Louvre saura faire face à l'afflux de ses nouveaux visiteurs ; on en prévoit de 10 à 12 millions par an.

Emmanuel de Roux