Outre-Rhin, on parle d'une « troisième littérature allemande », celle d'auteurs émigrés de RDA en République fédérale. Leurs récits sont nourris de la mémoire de l'Allemagne ; en témoigne Harmut Lange (le Récital). Une nouvelle génération d'écrivains exorcise ses démons en osant écrire l'innommable, le monstrueux ; c'est, entre autres, la Trique, de Waltraud Anna Mitgutsch.

D'URSS, deux livres caractérisent bien l'époque gorbatchévienne : Triste Polar, de Victor Astafiev, et les Enfants de l'Arbat, d'Anatoli Rybakov. De Vladimir Nabokov on connaît maintenant toutes les œuvres, dix ans après sa mort, y compris cette Correspondance avec Edmund Wilson, traduite de l'anglais, sa langue d'écrivain ; il va entrer dans la Bibliothèque de la Pléiade.

Enfin, grâce au ministère de la Culture, treize écrivains chinois de renom ont été accueillis à Paris et en province ; ils ont évoqué une littérature nouvellement libérée de ses chaînes.

Françoise Devillers

Littérature française

Les éditeurs semblent réagir à la crise de l'édition en augmentant la production ; entre août et novembre 1988 ont paru 209 romans français, dont 55 premiers romans.

Les écrivains se sont beaucoup penchés sur leur passé : Patrick Modiano explorait un épisode de son enfance (Remise de peine) et Daniel Rondeau ses années ouvrières vécues au sortir de Mai 68 (l'Enthousiasme) ; Philippe Labro se revoyait étudiant aux États-Unis (Un été dans l'Ouest). Même Alain Robbe-Grillet (Angélique ou l'Enchantement) et Claude Simon (l'Invitation) se sont plu à l'autobiographie. Les nombreux romans historiques ont confirmé cette tendance à fuir le présent : ainsi les Voyages et aventures extraordinaires du frère Angelo, du regretté Guy Hocquenghem. La période de l'Occupation fut aussi très prisée : s'y déroulent l'attachant roman de Roger Vrigny le Bonhomme d'Ampère et le dernier-né d'Henri Troyat Toute ma vie sera mensonge.

Benoîte Groult a fait rougir avec l'érotisme des Vaisseaux du cœur et Emmanuèle Bernheim a ciselé Un couple, petit joyau de cruauté. L'humour a aussi trouvé sa place : ainsi Jules Bouc, de Daniel Boulanger, truculent, et l'Orange amère, de Didier Van Cauwelaert, fidèle à son inventivité saugrenue. Quant à Michel Braudeau, il y est allé d'un joyeux conte philosophique, l'Objet perdu de l'Amour.

Les plus gros succès de librairie ont été remportés par des auteurs dotés d'un fort crédit médiatique : Richard Bohringer (C'est beau, une ville la nuit) et Philippe Djian (Échine). Des écrivains confirmés ont retrouvé leur public : Françoise Chandernagor avec la Sans Pareille, Nicole Avril et Patrick Grainville avec, l'une, Sur la peau du diable, l'autre, l'Atelier du peintre, deux romans dionysiaques. Françoise Mallet-Joris (la Tristesse du Cerf-volant) et, encore une fois, Yann Queffelec (la Femme sous l'horizon) ont été inspirés par l'enfance.

Côté essais, le bicentenaire de la Révolution nous a valu profusion d'ouvrages, dont la Révolution, 1770-1880, de François Furet, chez Hachette. Le public a aimé le Rêve mexicain, de Le Clézio, De près et de loin, de Lévi-Strauss, et la Connaissance inutile, de Jean-François Revel.

Le professeur Jean Bernard a confié ses Mémoires à Odile Jacob, et Jean Guitton a publié les siens chez Laffont. Chez Gallimard ont paru ceux de Ionesco et le dernier tome, posthume, de ceux de Marguerite Yourcenar.

Françoise Devillers

Théâtre

Parmi les coups de théâtre de 1988, deux nominations : celle de Jérôme Savary, le baladin, le marginal, à la tête du Théâtre national de Chaillot,. et celle d'Antoine Vitez comme administrateur du Français, après la mort de Jean Le Poulain. La maison de Molière, en proie au malaise, a néanmoins servi le patrimoine avec La guerre de Troie n'aura pas lieu, de Giraudoux, et une tragédie de Jean de Rotrou.

Le désarroi financier a atteint l'ensemble du théâtre public. Envers et contre tout, les créateurs parient sur l'avenir ; Jorge Lavelli consacre le Théâtre de la Colline aux auteurs contemporains : Arrabal, Gildas Bourdet et Copi. Parmi les nouveaux auteurs confirmés, Bernard-Marie Koltès a écrit, pour faire rire, le Retour au désert, mis en scène par Patrice Chéreau au Théâtre du Rond-Point. Et la pièce de Jean-Claude Brisville, le Fauteuil à bascule, a été reprise six ans après sa création. En consacrant quatre spectacles à Georges Perec, le Festival d'Avignon a révélé la théâtralité des jeux de son écriture.