Journal de l'année Édition 1989 1989Éd. 1989

Point de l'actualité

Les Quatre Dragons

Le 29 janvier, les États-Unis annoncent que les « quatre dragons » – Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taiwan – ne doivent plus bénéficier d'un traitement de faveur accordé aux Nations en voie de développement dans le cadre du Système généralisé des préférences et qu'à compter du 2 janvier 1989, l'exonération des droits de douane sur le marché américain sera supprimée pour certains de leurs produits.

La décision américaine est révélatrice de la montée en puissance de ces quatre pays asiatiques. Leurs performances économiques, très enviables, en effet, ne cessent d'inquiéter. Les « quatre dragons » ont en commun des taux de croissance élevés (entre 7 et 12 % depuis 3 ans), qui sont également parmi les plus rapides du monde. Ils se sont progressivement constitué une base industrielle (hormis Hong Kong qui privilégie les services) grâce à de forts taux d'investissement. Cette réussite est le résultat d'une stratégie fondée sur la promotion des exportations qui permet aujourd'hui à ces Nouveaux pays industriels (NPI) de jouer un rôle dominant sur l'échiquier mondial. Ce sont eux qui ont le plus contribué au dynamisme des échanges internationaux ces dernières années ; entre 1980 et 1987, la valeur de leurs exportations en dollars a crû de 70 %, contre 25 % pour la moyenne mondiale, et leur accélération est particulièrement rapide depuis 1985. Les NPI représentent dorénavant près de 10 % des exportations mondiales. Ils échangent surtout des produits manufacturés de plus en plus élaborés (du textile aux produits d'équipement ménager et électroniques) et bien adaptés à la demande mondiale.

Les États-Unis sont évidemment le pays le plus touché par les exportations des « quatre dragons » ; ils sont leur premier client et leur déficit cumulé, qui va croissant, a atteint 35 milliards de dollars en 1987. De même, l'Europe, partenaire pourtant moins privilégié mais de plus en plus recherché, dégage également un déficit (7 milliards de dollars en 1987, 10 en 1988). En revanche, le Japon, bon client mais surtout premier fournisseur, a accumulé un excédent de 20 milliards de dollars en 1987. Les pays industriels s'inquiètent non seulement de l'ampleur et de la croissance de ces surplus commerciaux (dégagés en majeure partie par Taiwan et par la Corée du Sud), mais également des bas prix – et de la qualité – de leurs fabrications (grâce à une main-d'œuvre bon marché, bien formée et travaillant beaucoup) et de la concentration de leur offre sur un nombre limité de produits (biens grand public, tels TV, radio, haute-fidélité, lecteur de disques compact, four à micro-ondes).

La compétitivité des NPI suscite des réactions protectionnistes des Occidentaux qui les accusent de concurrence « sauvage et déloyale ». C'est oublier que les quatre pays, s'ils exportent beaucoup, importent également beaucoup des nations riches. En outre, ces dernières n'ont cessé d'investir dans les pays asiatiques (même si l'État, important dans ces pays, contrôle l'orientation de ces investissements). Leurs firmes multinationales y ont délocalisé une partie de leur production et la sous-traitance, comme les transferts de technologie, joue un rôle croissant.

En attendant, la pression sur les « quatre dragons » s'accentue. Depuis 1987, la communauté internationale ne manque pas une occasion de leur rappeler la nécessité d'accepter leurs responsabilités de nouvelles puissances et de participer en conséquence à l'effort général de correction des déséquilibres mondiaux, notamment en diminuant leurs excédents commerciaux et en renonçant à leur protectionnisme (surtout Taiwan et la Corée du Sud). Déjà, de nouvelles réorientations apparaissent : réévaluations des monnaies nationales par rapport au dollar, recentrage de la croissance sur la demande intérieure, délocalisation de la production et diversification des partenaires (en particulier le tiers monde et les pays de l'Est).

Les quatre NPI asiatiques ont toujours fait preuve d'une grande capacité d'adaptation et d'innovation, héritage probable de la tradition confucéenne. Leur dynamisme et leur réussite ne sont pas près de disparaître, même s'ils sont confrontés temporairement à des problèmes politiques et sociaux. Au contraire, leur interdépendance progressive avec le Japon rend de plus en plus certaines l'émergence et l'affirmation tant économique que politique de la zone Asie-Pacifique.

Dominique Colson