France : le retard ou le déclin ?

Discrètement amorcée par les travaux des statisticiens et des économistes, puis relayée par la presse, la controverse sur le déclin ou le retard de la France s'est muée cette année en un large débat politique.
Les Français prennent conscience du déclin et refusent sa fatalité
(Georges Valance, le Point, 22 juin)
Industrie : la France a-t-elle un avenir ?
(Christine Delavennat, l'Express, 26 juin-2 juillet)
Déclin... ou retard
(Alain Vernholes, le Monde, 28 juin)
Le déclin n'est plus d'actualité...
(Jacques Chirac, Grand Jury RTL – le Monde, 28 juin)
Il n'y a pas de déclin français
(Jean-Marcel Jeanneney, le Matin, 1er juillet)

Le déclin économique d'un pays s'apprécie par double référence au passé et à l'étranger. Convient-il d'employer un mot aussi fort et empreint d'une résignation fataliste pour qualifier les retards accumulés par l'économie française au cours des dernières années ? Il appartiendra au lecteur d'en juger au vu des éléments statistiques disponibles et après que lui auront été exposées certaines particularités nationales qui sont de nature à peser sur nos performances relatives.

On mesure un retard, on juge un déclin

Le thème du déclin de la France n'est pas neuf, et les craintes exprimées à ce sujet ont parfois été démenties dans le passé. Parfaitement justifié pour caractériser l'évolution de notre pays de 1930 à 1945, il a été suggéré d'une manière récurrente dans les années 50 par des auteurs qui évoquaient, par exemple, Paris et le désert français (J.F. Gravier, Paris et le désert français, (Paris, 1947).) ou les Forces et faiblesses de l'économie française (J.-M. Jeanneney, Forces et Faiblesses de l'économie française (Armand Colin, 1959, 2e éd.).), alors même que la France vivait ses « trente glorieuses », c'est-à-dire trois décennies de croissance exceptionnelle et d'intense modernisation. De 1945 à 1975 en effet, notre agriculture et nos villes, notre industrie et nos transports, notre réseau de distribution commerciale ont rattrapé des décennies de retard et parfois profondément innové. Seul le Japon dépassait régulièrement la France dans le domaine de la croissance économique.

Depuis lors, le pays donne l'impression de s'essouffler. On peut discuter du point d'origine de nos retards. Certains indices montrent que le quadruplement du prix du pétrole en octobre 1973 a agi sinon comme une cause, du moins comme un révélateur de difficultés nouvelles : ainsi, la production industrielle dont les experts annonçaient en 1970 qu'elle doublerait en dix ans, a commencé à plafonner, dès 1974 et jusqu'à maintenant, à 30-40 p. 100 au-dessus de celle de 1970. En revanche, d'après d'autres indices, les années 1980-81 montrent que nos retards se sont aggravés sans que l'on puisse départager de manière incontestable les influences dues respectivement au second choc pétrolier, à l'enchérissement du dollar, qui cotait 4,10 F en 1980 et 9,30 F en février 1985 avant de chuter aux environs de 6 F depuis, ainsi qu'aux deux revirements de la politique économique française de juin 1981 et de fin 1982.

Si la plupart des données économiques justifient le sentiment que la France paraît piétiner, dans l'ensemble, depuis 1975-1981, l'interprétation qu'il convient d'en donner n'est pas simple. Toute pause qui fait suite à une longue période de croissance perturbe les anticipations des acteurs de la vie économique et ébranle les convictions comme les jugements de valeur portés sur les bienfaits de l'expansion.

En effet, le renouvellement des générations a révélé, à la fin des années 60, que beaucoup de Français entendaient porter un regard plus critique sur leur économie. Il est de fait que toute croissance de la production nationale poussée par des progrès techniques rapides détruit des richesses à mesure qu'elle en crée d'autres. De même, son ralentissement modifie la balance des créations et des destructions et déçoit bien des attentes, en particulier celle des chômeurs. Cette décélération peut aussi annoncer un rééquilibrage dans les forces de changement (H. Mendras, Le social entraîne-t-il l'économique ? (Futuribles, juillet 1986).). Les groupes sociaux, les générations, les individus dressent en fonction de leurs propres échelles de référence, le bilan de ces évolutions et le prix que mérite leur enrichissement personnel en terme de biens collectifs ou de loisirs sacrifiés. Enfin, les retards signalés par la plupart des indicateurs statistiques disponibles peuvent annoncer sinon un inéluctable déclin, du moins les difficultés transitoires qu'une part de la population éprouve à s'adapter au nouveau régime de croissance qui s'impose dans le monde depuis quinze ans. L'ouverture de notre pays, tout comme celle de nos partenaires européens et nord-américains, aux échanges mondiaux accentue, en effet, la rigueur des disciplines imposées par la concurrence et la coopération internationales. De plus, le rattrapage de la plupart des retards technologiques hérités de la période 1930-1945 soumet la France à la nécessité d'innover. Elle ne peut se contenter d'imiter les autres pour croître. Enfin, la montée en puissance de nations industrielles jeunes en Asie et en Amérique latine rendrait déjà fort méritoire le simple maintien de la part de la France dans le produit mondial. Qu'en est-il en fait ?

Les symptômes du retard

Les indices de retard ne datent pas tous de 1981, mais beaucoup se sont accentués depuis cette date.