Naissance de la francophonie

Si l'anglo-américain fait aujourd'hui figure de lingua franca quasi universelle, un autre ensemble planétaire, fondé sur une langue différente, est en train de s'affirmer : la francophonie.

Sans conteste, l'année 1987 restera celle de la consécration politique et diplomatique de la francophonie sur le plan mondial, grâce à la seconde conférence au sommet des nations « ayant en commun l'usage du français », tenue à Québec, au Canada, du 2 au 4 septembre. Quarante-trois délégations venues de trente-sept États indépendants – la France étant représentée par MM. François Mitterrand et Jacques Chirac – ont à la fois donné aux pays utilisant le français un drapeau (un cercle multicolore sur fond blanc), un sens à leur action commune (oui aux interpénétrations culturelles, non à l'uniformisation générale dans le moule nord-américain) et un début d'audience internationale (près d'un millier de journalistes s'étaient accrédités pour le sommet de Québec).

Les délégations présentes se sont donné rendez-vous à Dakar (Sénégal), en principe en mars 1988, pour une troisième rencontre des chefs d'État ou de gouvernement francophones. D'ici là fonctionnera un « comité international du suivi » présidé par le Canada, qu'assisteront le Sénégal, la France et le Québec. Outre la préparation du prochain sommet, cette instance doit veiller à la réalisation des projets multilatéraux adoptés par la conférence de Québec, notamment : l'extension de la nouvelle chaîne européenne de télévision par câble TV5 (distincte du cinquième canal français) à la côte est de l'Amérique du Nord, où vivent environ huit millions de francophones ; l'Agence internationale d'images siégeant à Paris, au service de tous les médias d'expression française ; la circulation des informations scientifiques et techniques en français ; l'assistance à l'agriculture des pays du tiers monde, notamment africains, utilisant le français, etc.

En vue de la concrétisation de ce programme, Paris et Ottawa ont, dès la réunion de Québec, respectivement dégagé deux cents millions et cent millions de francs, en chiffres ronds. Le maintien de la volonté politique des deux capitales les plus riches de la francophonie et de leur bonne entente mutuelle conditionnera sans nul doute la poursuite fructueuse de l'entreprise mise sur les rails à Québec en septembre 1987, tout autant que l'obtention de nouveaux crédits.

La concurrence franco-canadienne

Il faut dire que les mois précédant le sommet avaient vu se manifester plusieurs « frictions » franco-françaises et franco-canadiennes qui auguraient mal de la suite et dont la répétition à l'avenir ne peut totalement être exclue. À Paris, la « cohabitation » entre un président de la République issu du parti socialiste et un chef de gouvernement venu d'une nouvelle majorité de droite a eu des effets délétères sur la francophonie, dans la mesure où ni le palais de l'Élysée ni l'hôtel Matignon n'agirent beaucoup en faveur de la mise en application des engagements français pris lors du premier sommet francophone (février 1986), chacun donnant l'impression qu'il voulait rendre l'autre responsable de la stagnation. L'unité française s'est reconstituée à Québec dans l'intérêt d'un idéal sur lequel le consensus devrait pouvoir être permanent, au-delà des clivages politiciens. C'est cependant aux nouvelles équipes qui émergeront après l'élection présidentielle du printemps 1988 qu'il appartiendra de modeler l'impact français sur l'après-Québec.

Quant à la « rivalité » franco-canadienne – d'autres parlent, ce qui serait d'ailleurs plus sain, de « concurrence » ou, mieux, de « compétition » –, elle a éclaté au grand jour lors de la conférence ministérielle francophone de Bujumbura (Burundi), en juillet 1987. La décision canadienne fédérale d'annoncer ex abrupto, dans la capitale burundaise, par la voix de Mme Monique Landry, alors ministre des Relations internationales d'Ottawa, le doublement de la contribution canadienne à l'Agence de coopération culturelle et technique, qui regroupe la plupart des pays d'expression française, a été un peu ressentie par Paris comme une « leçon ». Le budget annuel moyen de la seule institution internationale permanente pan-francophone est en moyenne de cent millions de francs, la France en fournissant statutairement un peu moins de la moitié. En faisant passer unilatéralement son apport de trente-cinq millions à soixante-dix millions de francs par an (auxquels s'ajoutent les quatre millions de francs de la contribution annuelle du gouvernement provincial québécois), Ottawa a ravi à Paris sa place de premier commanditaire de l'Agence francophone.