L'option « double zéro »

Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev ont joué leur image politique sur l'échiquier ouest-européen. Spectateurs engagés, les pays du vieux continent se demandent aujourd'hui si la diminution du nombre des missiles signifie un accroissement de leur sécurité.

En 1977, le chancelier ouest-allemand, Helmut Schmidt, attirait l'attention des Américains et des Européens sur l'installation de nouveaux missiles soviétiques, les SS-20. Avec une portée de 5 000 km, ceux-ci menaçaient de leurs trois ogives nucléaires n'importe quel point en Europe. Entre 1979 et 1983, les pays membres de l'Alliance atlantique se sont dépensés sans compter pour convaincre leur population de la nécessité de déployer les armes de la réplique. Ce fut la « double décision de l'OTAN », statuant sur le déploiement progressif de Pershing II et de missiles de croisière. Aujourd'hui, ces mêmes gouvernements doivent convaincre leurs électeurs du contraire, le retrait de ces mêmes missiles étant paré des vertus de la Real Politik.

Des euromissiles, pour quoi faire ?

Pour les Européens, les Pershing II et les missiles de croisière étaient les instruments du couplage de la défense entre les États-Unis et le vieux continent. Étant physiquement présents sur le « terrain », ils apparaissaient comme le symbole d'une solidarité retrouvée de l'OTAN. La dimension du déploiement n'était pas simplement symbolique, puisque, dès l'installation des premiers engins en RFA, les Soviétiques quittaient la table des négociations sur la réduction des armements stratégiques. Non seulement la riposte de l'OTAN avait pu se mettre en place sans rupture entre les Alliés, mais elle signifiait très clairement à Moscou qu'il n'y aurait pas de guerre limitée en Europe. La portée des missiles américains détruirait avec Kiev l'idée d'un conflit proprement confiné entre des « coupe-feu » d'Europe centrale. L'armement nucléaire à courte et à moyenne portée, en interdisant toute concentration massive de troupes, comble la disparité des moyens conventionnels : 600 000 hommes et 7 800 chars de l'OTAN pour 740 000 hommes et 16 400 blindés du pacte de Varsovie. Les Pershing II permettent également, grâce à leur vitesse et à leur précision, de mettre hors de service une partie des centres de commandement, de contrôle et de communications soviétiques : en quelques minutes, ils peuvent décapiter le « cerveau » occidental de l'Armée rouge. La menace que représentent ces armes a dû très largement aider Mikhaïl Gorbatchev à convaincre les cadres de l'Armée rouge du réel avantage lié à leur disparition : c'est le premier volet de « l'option double zéro ».

Pershing II et SS-20

L'idée d'un échange entre missiles américains et soviétiques n'est pas nouvelle. En novembre 1981, le président Reagan, avant même l'implantation des premiers Pershing II et des missiles de croisière, proposait d'en ajourner le déploiement contre le retrait des SS-20 soviétiques. Ce qui, comme nombre d'observateurs l'ont fait remarquer alors, revenait à échanger des engins qui n'étaient pas encore installés contre des armes déployées depuis 1977. Nul doute que les Soviétiques faisaient partie de ces sagaces observateurs, puisqu'ils refusaient la proposition de l'OTAN. Tout ce que proposa alors Leonid Brejnev, qui venait juste de reconnaître l'existence des SS-20, fut un moratoire sur le déploiement de ces armes – dont 250 exemplaires étaient déjà opérationnels – et une réduction des SS-4 et des SS-5, condamnés de toute façon à disparaître en raison de leur grand âge. De plus, la proposition de l'Alliance atlantique tombait en pleine vague de manifestations pacifistes et antinucléaires. Si celles-ci n'eurent pas toute la portée que le numéro un du Kremlin pouvait en attendre, il aurait été étonnant de croire un instant qu'il n'essayerait pas de les exploiter à son profit. L'option « double zéro » est, cette fois-ci, proposée par Moscou. Entre-temps, Pershing et missiles de croisière, déployés progressivement, conformément à la double décision de l'OTAN, avaient perdu tout caractère virtuel.