Journal de l'année Édition 1988 1988Éd. 1988

L'année des sans-grade

Le temps de 9″ 83 à lui tout seul suffit à faire de 1987 une année exceptionnelle. Le 30 août, à Rome, lors des championnats du monde d'athlétisme, il n'aura fallu que 100 m au sprinter canadien Ben Johnson pour entrer dans l'histoire et reléguer au second plan tous les autres sportifs qui se sont particulièrement mis en évidence au cours d'une saison riche en exploits, tant dans les sports individuels que dans les sports collectifs. C'est pourquoi le vainqueur de la Coupe de l'America, Dennis Conner, le pilote de Formule I, Nelson Piquet, les coureurs cyclistes, Jeannie Longo et Stephen Roche, le boxeur Thomas Hearns, les joueurs de tennis, Ivan Lendl et Martina Navratilova, et la nageuse Kristin Otto méritent eux aussi de figurer au tableau d'honneur. Ils y rejoignent les triomphateurs de la première coupe du monde de rugby à XV, les All Blacks, l'équipe Suisse de ski, invincible aux derniers championnats du monde de Crans Montana, et l'ensemble des athlètes est-allemands qui ont dominé, comme d'habitude, presque toutes les compétitions auxquelles ils ont participé.

Une page est tournée

Bernard Hinault et Michel Platini à la retraite, Yannick Noah à la recherche du temps perdu, depuis sa victoire aux Internationaux de France de tennis en 1983, Éric Tabarly à califourchon sur l'une des coques de son trimaran Côte-d'Or, à la dérive au beau milieu de l'océan Atlantique, Alain Prost victime cette saison d'un moteur à bout de souffle : en moins d'un an, nos stars mondiales sont rentrées dans les rangs. Pour combler ce vide, espérons-le provisoire, il y a eu heureusement Jeannie Longo, auteur d'un triplé historique, Tour de France, championnat du monde, record de l'heure, qui la situe désormais au sommet de la hiérarchie du sport français. Un rang auquel aurait pu prétendre également le pentathlonien moderne Joël Bouzou, le sabreur Jean-François Lamour, le lutteur Patrice Mourier, les judokas Cathy Arnaud et Fabien Canu, le skieur nautique Patrice Martin, tous champions du monde dans des disciplines qui jusqu'à présent n'avaient guère été placées sous les projecteurs de l'actualité. À l'heure où les footballeurs de l'équipe de France ont du mal à retrouver leur lustre d'antan, imités en cela par les tennismen beaucoup trop enfants gâtés, il est réconfortant de pouvoir compter sur de tels athlètes, soucieux avant tout de se construire un palmarès plutôt que de monnayer leur talent à n'importe quel prix. Aujourd'hui, la France est peut-être en manque de vedettes, mais pas de champions de valeur, comme ont su le devenir dans le passé les regrettés Henri Cochet, Jacques Anquetil et Julien Darui qui seront les grands absents en 1988.

En route pour Séoul

Si l'enveloppe budgétaire de M. Christian Bergelin ne s'étoffera guère en 1988 (+ 0,7 p. 100), en revanche, le sport de haut niveau verra ses crédits augmenter de 7 p. 100. Cette rentrée d'argent frais servira notamment au bon fonctionnement de la cellule de préparation olympique, que dirigent avec un certain succès, depuis 1986, Pierre Guichard et ses deux adjoints, Jean Poczobut et Bernard Bourandy. Elle ne sera pas de trop, également, pour financer les bourses offertes aux quelque 500 athlètes français de premier plan qui s'entraînent actuellement en vue des Jeux de Séoul, où ils espèrent bien remporter 15 médailles comme le souhaite leur ministre de tutelle. Mais, si ces missions commandos répondent dans un premier temps au besoin du moment, elles ont l'inconvénient d'être provisoires et de favoriser l'élite au détriment de la masse, à moins que, dans les prochaines années, l'opération « contrats bleus » ne portent ses fruits. Il s'agit, rappelons-le, de permettre aux enfants de pratiquer davantage d'activités physiques ou d'éveil au sein des associations et des clubs placés sous l'égide des 4 000 communes concernées. Dans ce but, la somme de 72 millions de francs a été prélevée sur le Fonds national de développement du sport pour contribuer au financement de ces « contrats », qui compléteront l'éducation sportive du jeune Français, la plus rétrograde de toutes celles dispensées dans les pays civilisés. Ainsi, nous ne verrons peut-être plus le vice-champion du monde de 200 m plat, Gilles Quénéhervé, déclarer à l'issue de sa course qu'il avait découvert l'athlétisme seulement au moment de passer les épreuves de gymnastique du baccalauréat. Encore heureux qu'il ait choisi ce jour-là de courir le 100 m de préférence au 1 500 m, tout simplement parce que c'était moins fatigant. Voilà à quoi tient parfois la carrière d'un futur grand champion, lorsqu'un pays n'a jamais eu de politique sportive véritable, laissant le soin aux fédérations de s'occuper de leurs propres adhérents. Le sport français est, de toute évidence, définitivement placé sur la voie d'un désengagement de l'État, compensé par une constante augmentation des crédits extrabudgétaires. Un grand risque au moment où les enjeux du Loto diminuent régulièrement, tandis qu'on s'interroge encore sur les conséquences qu'aura sur le sponsoring sportif l'interdiction de la publicité pour les boissons alcooliques malgré la circulaire autorisant le « parrainage ». Nul doute que, dans un proche avenir, des formes nouvelles de financement devront être trouvées. Dans ce domaine, les Régions et surtout les municipalités auront un rôle accru à jouer.