Les géants de la communication

D'où viennent désormais les géants de la communication ? De l'Europe, qui possède aujourd'hui tous les atouts dans la course mondiale à l'audiovisuel.

Les géants de la communication sont aujourd'hui européens. Par leur poids, et par leur taille, mais aussi par une valeur subjective : leur ambition. L'année 1986 les a propulsés sur le devant de la scène. Ils sont moins d'une douzaine, en comptant les « prétendants », viennent d'horizons divers et sont prêts à rivaliser – ou à s'associer – sur le marché d'une activité devenue désormais une véritable industrie, la communication, avec un même objectif : l'audiovisuel.

Tout est né en fait d'une révolution en forme de pari technologique et trouve son origine au milieu des années 70. À cette époque, le territoire américain est déjà largement câblé. Les satellites sont également sur orbite. Le marché outre-Atlantique de la communication audiovisuelle vit à un rythme de croissance soutenu. L'Europe s'inquiète. Elle risque de rater un rendez-vous technologique aux débouchés tant commerciaux que culturels. La plupart des États européens ne réagiront qu'au début des années 80, en lançant un vaste programme technologique passant par les médias dits nouveaux, câble et satellites. C'est un pari technologique certes, mais aussi politique et surtout industriel. L'industrie s'essouffle et espère recevoir, par le biais de la communication audiovisuelle, un nouveau coup de fouet.

Les téléspectateurs sont demandeurs de plus d'images, mais rechignent à s'abonner. La complexité des infrastructures et le poids considérable des investissements permettent à certains États de justifier l'existence de leur monopole d'intervention, tout en décourageant l'initiative privée dans les États « libéraux ». La lenteur de la montée en puissance fait hésiter le marché publicitaire. Les programmes coûtent cher et constituent une autre source de dépenses. Cette laborieuse transformation du paysage audiovisuel se heurte à une logique implacable : sans « tuyaux » (supports de transmission), pas de programmes, sans programmes pas d'audience, sans audience pas de publicité, sans publicité pas de financement pour les programmes et pas d'extension des supports, et ainsi de suite.

Mais les groupes ont de la suite dans les idées. Ils ont senti qu'une brèche venait de s'ouvrir. C'est à leur tour d'observer les Américains et les Japonais, puis les Brésiliens, qui déversent leurs « soap operas » sur l'Europe. Celle-ci est devenue pour eux un enjeu. Le but de la manœuvre sera, pour les groupes européens, de la rendre maîtresse du « jeu ». Ils sont en passe de réussir.

D'abord, parce que les États européens ont peu à peu tiré les verrous juridiques et réglementaires, en entrant pour la plupart dans une logique de dérégulation et de déréglementation. Ce libéralisme est le fruit de la crise économique : l'État ne peut plus assurer seul le financement d'un certain nombre de services ; la communication en fait partie. C'est aussi le résultat d'une prise de conscience politique face à la notion de service public de la communication. L'exemple de la récente réforme de la communication en France en est la parfaite illustration. C'est, enfin, la conséquence de la pression de l'industrie électronique en totale expansion. À ce mouvement de dérégulation s'ajoutent deux autres tendances intervenant en parallèle, mais aussi en contradiction.

Concentration d'abord. L'apparition de nouvelles formes de communication et l'intégration des progrès techniques imposent à terme une diversification. Celle-ci passe par une concentration permettant de rationaliser les charges de gestion, en réalisant des économies d'échelle. Sans compter que les différents secteurs intégrés qui ratissent le terrain peuvent jouer à plein, et entre eux, le jeu de la synergie. Ce souci de diversification peut se justifier : peur de la concurrence, ouverture sur d'autres sources de profit, sécurité en cas de déperdition d'un secteur, contournement d'une activité visée. En bref, occuper le terrain, tout en s'adjoignant des potentialités de profit rapidement mobilisables.