Vivre avec le terrorisme

La France se croyait-elle à l'abri du terrorisme ? Les événements tragiques de 1986 ont définitivement dissipé ses illusions. Impuissante, elle a assisté à l'interminable détention de ses otages au Liban. Furieuse, elle a vu des bombes exploser en plein Paris, tuant et blessant aveuglément. « Vivre avec le terrorisme » est devenu, pendant plusieurs semaines, une obsession nationale.

La fin de 1985 avait été marquée par un double attentat spectaculaire. Le 7 décembre, des engins explosaient dans deux grands magasins parisiens, boulevard Haussmann, faisant 35 blessés. Les terroristes allaient frapper cinq autres fois au cours de l'hiver, sans compter les bombes désamorcées à temps.

Puis, sans explication, à partir du 21 mars, la série noire s'arrête. L'été ne sera endeuillé que par un attentat contre les locaux de la Brigade de répression du banditisme, le 9 juillet, revendiqué par Action directe, apparemment sans rapport avec ceux du début de l'année qui, eux, semblaient être de facture proche-orientale.

En septembre, la capitale est reprise dans la tourmente terroriste. Une première bombe explose à Paris le 8. Puis une deuxième, le 12. Puis une troisième... Cinq au total, en l'espace d'une dizaine de jours, avec une tragique addition : 10 morts et 160 blessés.

C'est une « guerre », déclare le Premier ministre, Jacques Chirac. Mais aucune bombe n'explose à Paris après le 18 septembre, date à laquelle l'attaché militaire, le colonel Christian Goutierre, est assassiné à Beyrouth. Simple accalmie ?

Pas de panique

Les médias ne manquent pas d'être mis en cause. Ne font-ils pas le jeu des poseurs de bombes en consacrant tant de place aux attentats ? Le débat ne sera pas tranché en France, pas plus qu'il ne l'avait été en Italie du temps où les Brigades rouges défrayaient la chronique. Il est très difficile, en effet, sinon impossible, de se taire. Le silence de la presse provoquerait les rumeurs les plus folles et pourrait conduire les terroristes à agir de manière plus spectaculaire encore pour se faire entendre. Mais, si un black-out est impensable, les médias peuvent éviter de trop en faire, de diffuser des informations non vérifiées et d'affoler la population.

Affolés, les Parisiens ? Ils ont, au contraire, une attitude exemplaire pendant tout le « septembre rouge » 1986. À commencer par les secouristes – sapeurs-pompiers, SAMU, ambulanciers privés et médecins libéraux –, qui sont présents sur les lieux de chaque attentat quelques minutes à peine après l'explosion. Un spectacle effroyable les attend : corps déchiquetés, hurlements, façades éventrées... Avec une efficacité remarquée, les secouristes soignent sur place les blessés ou les évacuent vers les hôpitaux, devant une foule silencieuse mais digne.

Sans panique, les habitants de la capitale respectent les consignes de sécurité qui leur sont données. Ils acceptent d'être fouillés à l'entrée des cinémas, parfois dans leurs propres bureaux. Dans les gares, chacun évite de laisser traîner un bagage qui serait immédiatement détruit. Des objets suspects sont signalés dans des rames de métro ou des galeries marchandes. Le sang-froid de quelques Parisiens permet d'éviter des drames.

C'est apparemment un engin explosif déposé dans une poubelle, près du magasin Tati, qui a provoqué la terrible explosion de la rue de Rennes, le 17 septembre. On décide donc de plomber toutes les poubelles sur les boulevards, devant les grands magasins... Des groupes de policiers patrouillent en permanence dans les endroits très fréquentés. C'est surtout une mesure psychologique qui vise à rassurer la population, car il n'existe aucun remède miracle pour empêcher les attentats. Les responsables le savent, et les Français le sentent confusément.

Pas question d'annuler la visite que le pape doit faire dans la région Rhône-Alpes début octobre : ce serait s'incliner devant les adeptes de la terreur. On mobilise plutôt 15 000 policiers, et le voyage pontifical a lieu sans incident.