Le style triomphe encore avec l'exposition 28 années de création d'Yves Saint Laurent, qui s'est tenue au tout nouveau Musée des arts de la mode en juin. Inspirée par celle qui fut organisée au « Met » (Metropolitan Museum of Arts de New York), elle distribuait sur les cinq niveaux du Pavillon de Marsan une sélection de 300 modèles répartis en quelques grands thèmes : les robes noires (des origines, chez Dior, jusqu'à nos jours), les trésors (broderies, brocarts, bijoux, accessoires), les œuvres d'art (robes inspirées de grands peintres comme Picasso ou Mondrian), l'exotisme (Russie, Chine, Maroc), les costumes de cinéma (de la Sirène du Mississipi à l'Affaire Stavisky), enfin, les années débutantes, illustration du travail de Saint Laurent au sein de la maison Dior de 1958 à 1962 (voir Yves Saint Laurent, par Pierre Ajame).

Il ne faudrait pas confondre cet hommage muséologique avec un quelconque embaumement. La vitalité du très discret « YSL » fait toujours mouche à chaque saison. Tout autant par les modes qu'il n'a cessé de susciter que par une façon inimitable d'entrechoquer les références, de griffer l'air du temps. Au fil des années, un style persiste et signe, de plus en plus épuré, justifiant la phrase de Chanel « les modes passent, le style reste ». Le définir ? Une rigueur exigeante, une capacité innée pour créer une silhouette de femme, presque une citation : jupe droite, veste épaulée, poches plaquées, taille fermement ceinturée aux hanches, noir indatable. Style devenu marque, le fameux « YSL », dessiné par le peintre Cassandre, symbolisant aussi un empire de mode qui vient de racheter l'Américain Charles of the Ritz. Suprême ironie pour un créateur qui s'exclamait en 1965 : « À bas le Ritz, vive la rue ! »

Saint Laurent aura finalement eu les deux, représentatif en ce sens des années 80, qui ont redécouvert le chic sans refuser le look, réconcilié l'opposition irrémédiable style et tradition d'une part, nouveauté et mode de l'autre, anobli, grâce au musée, tous les degrés de culture. En faisant entrer dans celui-ci le plus célèbre des créateurs de haute couture, la culture fait là une de ses plus belles acquisitions.

D'autres événements ont bien sûr ponctué 1986 : l'Année de la Sculpture évoquée par Gilbert Gatellier, le Lion d'or de Venise pour le Rayon vert d'Éric Rohmer... Mais pourrait-on conclure sans évoquer la disparition de ces deux comédiens que furent Coluche et Le Luron ? Ici comme ailleurs, si les modes s'effacent, le style comme l'émotion demeurent.

Félix Torres

Idées

L'ère du vide, selon le livre de Gilles Lipovetsky, caractérise notre société, marquée par la fin des idéologies. En 1986, on qualifie de « post-modernité » cette période qui développe une pensée où tout est jeu, apparence, triomphe de la forme sur le fond ; ce désenchantement, dit Jean-François Lyotard dans le Postmoderne expliqué aux enfants, naît parce que notre monde est trop complexe pour qu'on puisse dire « ceci est la vérité, le sens de l'Histoire », et parce que le clivage gauche-droite ne correspond plus au problème du temps (C. Castoriadis : les Carrefours du labyrinthe). Mais, malgré cette désaffection pour les causes collectives, l'Homme s'engage dans des solidarités non embrigadées, pragmatiques, ponctuelles, incité par des penseurs comme René Etiemble (Racismes) ou Jean Duvignaud (la Solidarité) pour qui les liens entre les hommes ne sont pas aussi distendus qu'on le croit.

Si Bernard-Henry Lévy, dans Question de principes, deux, craint les conséquences, parfois graves, d'actions humanitaires voulant échapper à la politique, il aime n'être d'aucun clan, car la pensée doit servir à compliquer le monde plutôt qu'à le simplifier. Une pensée libre et inclassable, c'est aussi celle de l'écrivain polonais Kolakowski dans la Clef des cieux ; explorant aussi bien l'histoire sainte que le stalinisme, il croit à un assainissement du monde. Être « en phase » avec les événements, telle est la volonté de Bernard Cazes (Histoire des futurs) pour qui le progrès technologique amènera un retour à la convivialité. Le livre de Bruno Lussato et de Gérard Messadié, Bouillon de culture, parie que le micro-ordinateur sera un outil de communication aux possibilités de langage insoupçonnées.