Vilain mois de mai

Le mois de mai 1985 se distingue par sa fraîcheur inhabituelle : dans la première quinzaine, il manque en moyenne 7 degrés pour atteindre la température normale. Entre le 8 et le 12, les records de froid du siècle sont battus dans le sud du pays. On se croirait au mois de mars. La couverture nuageuse réduit considérablement l'ensoleillement, qui peut s'évaluer au tiers ou au quart du taux moyen. La forte pluviosité grossit les cours d'eau. Dans l'Est, il y a de nombreuses zones inondées ; en Haute-Saône, plusieurs personnes sont emportées par les rivières en crue. Dans les Alpes et les Pyrénées, mais aussi dans l'Aveyron, le Tarn, l'Ariège, la Lozère, les maux du plein hiver – neige et verglas – perturbent la circulation et la distribution d'électricité. Les cols pyrénéens sont difficiles à franchir ; dans les Alpes, certains sont fermés. Cette situation dure, car les basses pressions venues de l'Atlantique ne rencontrent pas d'anticyclone pour les repousser vers le nord. La deuxième quinzaine bénéficie d'un certain réchauffement, mais elle reste nuageuse et humide jusqu'au 27.

L'Homme profond

L'expérience Hydra V commence le 4 mai, à Marseille, dans les ateliers de la COMEX (Compagnie maritime d'expertise). Dans un caisson hyperbare reproduisant artificiellement les hautes pressions des grandes profondeurs marines, des plongeurs professionnels essaient des mélanges de gaz respiratoires appropriés à ces conditions. Le problème est multiple : éviter l'ivresse des profondeurs, travailler sans fatigue anormale, faire face aux difficultés causées par la décompression lors des remontées. L'expérience est menée à des pressions voisines de 45 bars, ce qui correspond à peu près à une profondeur marine de 450 m, où l'azote devient irrespirable. Un mélange gazeux de remplacement, l'héliox, composé d'hélium et d'oxygène, a déjà été essayé. Aujourd'hui, l'hydrox, triple mélange d'oxygène (1 %), d'hélium (45 %) et d'hydrogène (54 %), avec lequel disparaît l'impression de fatigue rapide, est expérimenté avec succès. Les Français sont les seuls à prendre le risque d'utiliser l'hydrogène. Les recherches portent aussi sur les moyens d'éviter le SNHP (syndrome nerveux des hautes pressions) caractérisé par des tremblements et des anomalies encéphalographiques. Les équipes de plongeurs cobayes passent de longs jours dans le caisson : jusqu'à 14 pour la seule décompression correspondant à une remontée. L'expérience, réussie, s'achève le 7 juin : l'homme peut séjourner et travailler sous 450 m d'eau.

Dubuffet

Le peintre français Jean Dubuffet, mort le 12 mai, demeure l'un des principaux tenants de l'art brut.

Né au Havre en 1901, il étudie la peinture dès 1918, à l'académie Julian, à Paris. Puis il abandonne son art, longuement, à deux reprises, au profit d'une activité mercantile. C'est en 1942 seulement qu'il décide de se consacrer entièrement à son œuvre. Il défend alors l'art brut par opposition à l'« art culturel », qualifie lui-même ses œuvres d'innommables et se montre irrespectueux de la culture (qualifiée d'asphyxiante) et de l'orthographe. Car l'écriture est l'un de ses instruments favoris ; il publie même une partie de sa correspondance. Dès la fin de la guerre, en marge des courants de l'art français, il trouve un marché aux États-Unis, pays favorable aux artistes échappés des normes. À partir de 1962, il se lance dans le cycle de l'Hourloupe, caractérisé par la figuration de personnages et d'objets bizarres ou grossiers, qui remplacent ses effets de matière. La sculpture l'attire, surtout à partir de 1966, à commencer par l'utilisation des matières plastiques. Ses sculptures monumentales sont implantées à l'étranger, spécialement aux États-Unis (en dernier lieu, le Monument à la bête debout, à Chicago, en 1984). En revanche, il rencontre des problèmes en France, par exemple avec la Tour aux figures, dont l'érection, envisagée place d'Italie à Paris, puis dans le parc de Saint-Cloud, enfin dans une île de la Seine, déchaîne les passions.

Le Catalogue des travaux de Jean Dubuffet est en cours de publication.

À voile et à turbo

Le 13 mai, le commandant Cousteau quitte La Rochelle pour une traversée de l'Atlantique à bord d'un navire expérimental, l'Alcyone. La propulsion du bâtiment est assurée par deux turbo-voiles, grands ensembles de cylindres et de panneaux rigides à silhouette de cheminées, utilisant l'effet Magnus, et d'un rendement environ cinq fois supérieur à celui des voiles classiques. Des volets manœuvrés par un ordinateur optimisent l'utilisation du vent. L'expérience s'insère dans les programmes d'économie d'énergie. La formule française, le système Malavard-Cousteau, peut concurrencer les réalisations japonaises de même principe. C'est tout l'armement maritime, du chalutier au pétrolier, qui est intéressé par ce nouveau procédé.

Peaux neuves

Le 14 mai, une équipe de médecins de l'hôpital de Créteil annonce qu'elle réussit à cultiver en laboratoire une peau artificielle. À Lyon, une autre équipe a utilisé un mode de culture différent. Toutes deux collaborent avec des laboratoires américains, dont elles ont perfectionné les procédés. La formule de Créteil porte sur un ensemble derme-épiderme, le second élément étant cultivé à partir de cellules prélevées sur le patient. La peau ainsi créée se conserve par congélation, s'emploie par simple pose et ne laisse pratiquement pas de cicatrices.

La technique concerne principalement le traitement des brûlures et a l'avantage de produire une surface de peau pouvant atteindre 1 m² en quelques jours, à partir de quelques cm² du sujet intéressé. Ces procédés peuvent aussi se prêter à l'étude en éprouvette des maladies dermatologiques.

Bon voyage, M. Pisani !

Le 22 mai, M. Edgard Pisani, délégué du gouvernement en Nouvelle-Calédonie depuis le 1^er décembre 1984, revient à Paris. Vieux routier de la politique, ministre de l'Agriculture entre 1961 et 1966, il participe alors à l'élaboration de la politique agricole européenne. Il adhère au parti socialiste en 1975. En raison de l'échec du statut de la Nouvelle-Calédonie, voté le 31 juillet 1984, et de la violence régnant dans l'île, il est nommé, le 1^er décembre suivant, délégué général du gouvernement à Nouméa. Le 20, il rend compte à Paris des premiers résultats de sa mission. Le 7 janvier 1985, il présente son projet d'indépendance-association, avec un statut spécial pour Nouméa. Peu après, les désordres reprennent : il est contraint d'imposer l'état d'urgence. Le 8 mai, toujours dans un contexte de violences, M. Dick Ukeiwé président du Gouvernement territorial, demande son rappel à Paris. Le 21 mai, il repart en France pour quelques jours et apprend en route qu'il est nommé ministre chargé de la Nouvelle-Calédonie. Il est remplacé dans ses fonctions locales par M. Fernand Wibaux, ancien ambassadeur à Beyrouth.

La dissuasion par l'Inflexible

Le 25 mai, à l'Île-Longue, dans la rade de Brest, le président Mitterrand assiste à la mise en service du sous-marin nucléaire l'Inflexible, opérationnel depuis le 1^er. Sa vitesse en plongée atteint 25 nœuds et il se distingue par son équipement informatique poussé. Sa construction a été décidée en 1974 et sa conception modifiée en 1978 pour lui permettre de lancer des fusées à têtes multiples, ce qui le différencie des cinq autres submersibles nucléaires français. Il est pourvu de 16 missiles M4 à six têtes nucléaires, de portée supérieure à 4 000 km, qui lui assurent une puissance de tir égale à celle des cinq autres sous-marins réunis. Sa contribution à l'effet dissuasif de la FOST (Force européenne stratégique) est ainsi considérable. Les bâtiments plus anciens doivent être équipés progressivement de M4. La naissance de ce missile français à têtes multiples (type dit MIRV), comparable aux engins précédemment mis en service par les États-Unis (1971), l'URSS (1975) et la Grande-Bretagne (1981), a modifié quelque peu l'opinion des Soviétiques sur la force de dissuasion française.

Les légionelles s'abattent sur l'Europe

Identifiée pour la première fois en 1976, à Philadelphie (États-Unis), la maladie du légionnaire, ou légionellose, ainsi désignée pour avoir touché des congressistes de l'American Legion, frappe subitement l'Angleterre. La région de Stafford est la plus atteinte, avec 28 morts en une semaine. Au même moment, des « banqueteurs » de Romulus (Michigan) sont également touchés. La contamination se produit en effet par voie digestive aussi bien que respiratoire. La bactérie malfaisante, la légionelle (Legionella pneumophila), est répandue dans les tuyaux d'eau tiède, dans les circuits de ventilation, mais aussi dans les lacs et les rivières et surtout dans certaines eaux stagnantes. Les gros fumeurs semblent particulièrement sensibles au mal, qui prend la forme d'une pneumonie fébrile, avec désordres abdominaux et traces d'encéphalopathie. Prise à temps, la légionellose est à présent curable en quelques semaines. Il semble qu'il existe des cas bénins, à apparence grippale, mal identifiés. Le dépistage et la destruction des nids de bactéries posent plus de problèmes que la thérapeutique.