Les enjeux du Pacifique

Dans une région que tous les observateurs s'accordent à considérer comme jouant un rôle de plus en plus important dans l'équilibre du monde, l'année 1985 a apporté sinon des bouleversements fondamentaux, du moins des signes d'évolution à plus ou moins long terme qui pourraient modifier les données diplomatiques, politiques, économiques et stratégiques de la conjoncture internationale.

Si le Japon se présente, de plus en plus ostensiblement, comme un partenaire majeur au sein de la communauté des nations, et pas seulement dans la région du Pacifique, les États-Unis, pour leur part, s'emploient à maintenir ou à réaménager leurs positions stratégiques dans une zone vitale pour leur sécurité et dont les accès occidentaux – ceux qui permettent la communication avec le Proche-Orient et l'Europe – semblent de plus en plus menacés. Par ailleurs, cette portion asiatique du bassin du Pacifique paraît ne plus faire autant preuve que par le passé d'un dynamisme économique que lui enviait l'ensemble du monde. Plus au sud, le nucléaire fait l'unanimité contre lui chez les voisins d'une France qui, présente dans cette région, s'y livre précisément à des activités de telle nature, ce qui lui vaut bien des difficultés, notamment avec un des pays considérés comme menant cette croisade antinucléaire : la Nouvelle-Zélande.

Ainsi, les problèmes graves de conséquences pour l'équilibre du monde apparaissent nombreux et épineux dans cette région ; ils ne se limitent nullement à la seule perspective de l'évolution de la Nouvelle-Calédonie.

Le Japon redevient une grande puissance diplomatique

Vaincu par les États-Unis en 1945, le Japon reprit un embryon d'activité comme base arrière des Nations unies- en fait des États-Unis – durant la guerre de Corée (1950-1953). Ce fut l'amorce de ce que l'on a appelé le « miracle », miracle de nature essentiellement économique, au point qu'un homme d'État français pouvait naguère traiter avec mépris le Premier ministre de ce pays de « marchand de transistors ». Et pendant longtemps, trop longtemps sans doute, il fut de bon ton de qualifier le Japon, dont on n'appréciait pas suffisamment les possibilités et les ambitions, « de géant économique mais de nain diplomatique » et, bien sûr, militaire, puisque sa Constitution même, imposée par les vainqueurs après sa défaite, lui faisait interdiction de posséder des forces armées.

Brillant second des États-Unis, le Japon se trouvait, à l'égard de ce supergrand, en situation de rivalité commerciale, mais de dépendance internationale, dans la mesure où sa sécurité dépendait presque exclusivement du « parapluie » américain. Sollicité peu à peu de participer davantage à l'effort de défense commun, le Japon n'a guère modifié le montant de sa contribution financière, puisque le chiffre symbolique de 1 % du PNB consacré aux dépenses militaires n'a été atteint que cette année. Mais, en revanche, il est important de constater que les mentalités sont en train de changer, surtout celles des milieux dirigeants économiques et politiques. La réussite insolente de ce pays au sein d'un monde en dépression a renforcé le sentiment diffus d'une certaine supériorité. Cette prise de conscience rend injustifiée, en certains milieux influents, la discrétion dont a fait preuve le Japon jusqu'à un passé récent au sein des instances internationales. On peut gager que, bientôt, l'état d'infériorité, sinon de sujétion, dans lequel se trouve le Japon par rapport à l'un des supergrands apparaîtra insupportable à l'opinion japonaise. Les États-Unis, en effet, font encore figure de protecteur de leur vaincu, alors que celui-ci les a rattrapés, voire dépassés.

Le gouvernement de Tokyo a d'ailleurs élaboré en début d'année un « Livre blanc sur la défense », qui a été publié le 7 août 1985 (presque le jour anniversaire du bombardement d'Hiroshima !) dans lequel la situation internationale est analysée sous des jours assez sombres ; il s'agit notamment de montrer combien le voisinage soviétique se fait préoccupant en Extrême-Orient. Les îles Kouriles du Sud, que l'URSS a annexées de facto en 1945 (aucun traité de paix n'ayant été signé depuis avec le Japon), ont été transformées en de formidables points d'appui militaires, surtout l'île la plus méridionale, Etorofu, située juste en face de Hokkaido, l'île septentrionale de l'archipel japonais. Le livre blanc insiste sur la volonté nipponne de recourir à la diplomatie pour régler les litiges internationaux ; il mentionne, en contrepartie, non seulement l'importance des accords de défense passés avec les États-Unis, mais aussi le rôle déterminant en matière de sécurité des forces dites d'autodéfense, celles-ci constituant, en fait, un ensemble militaire équivalent à de véritables forces armées, même si, conformément à la Constitution, le mot n'est pas prononcé. Il faut ajouter que ce document officiel où l'on retrouve la marque personnelle du Premier ministre semble avoir été fort favorablement accueilli par l'ensemble de l'opinion.