Les Nobel français

Le 17 octobre 1985, l'Académie de Stockholm décernait le prix Nobel de littérature à Claude Simon. Après 21 ans d'absence, la France réapparaissait en bonne place dans ce palmarès prestigieux de la littérature. Douzième écrivain français à le recevoir, Claude Simon apporte à la France son 43e prix Nobel, consécration mondiale par excellence en littérature, physique, chimie, médecine et paix.

Créés selon les dernières volontés d'Alfred Nobel, récompensant depuis 1901 les plus brillants esprits, les cinq prix apparaissent comme un indicateur du potentiel intellectuel des nations.

Derrière les États-Unis (169 prix), la Grande-Bretagne (84), la République fédérale d'Allemagne (60), la France se situe au 4e rang devant la Suède (26), l'URSS (17)...

L'analyse de ces chiffres par matières semble conforter des idées reçues : traditionnellement considérée comme le pays des arts et des lettres, la France a incontestablement plus de dons en littérature qu'en sciences. Avec ses douze prix, elle se classe au premier rang de la littérature mondiale devant les États-Unis, la RFA, la Grande-Bretagne (8 prix chacun) et la Suède (6)... Elle fait encore bonne figure parmi les grands apôtres de la paix, avec ses 9 lauréats contre 17 pour les États-Unis et les Institutions internationales, comme la Croix-Rouge, mais devant la Grande-Bretagne (7). Par contre, en sciences, la France s'essouffle avec ses 22 prix derrière les États-Unis (133), la Grande-Bretagne (63) et les 48 lauréats de l'Allemagne. En matière d'économie, la France ne tient pas non plus la distance avec les pays anglo-saxons, puisqu'un seul économiste français, d'ailleurs naturalisé américain, a obtenu le prix Nobel contre 11 Américains et 4 Anglais.

Ces grandes comparaisons étant faites, il reste à interpréter ces chiffres avec prudence, à la lumière des procédures et de l'histoire de l'attribution des prix.

Claude Simon, 12e apôtre de la littérature française

« Un Français prix Nobel ? », c'est la question que posaient de nombreux journalistes en ce début d'automne à l'approche de la distribution des prix. Plusieurs Français, dont Nathalie Sarraute, Michel Tournier et Marguerite Yourcenar, étaient en compétition avec Claude Simon. Cité depuis plusieurs années parmi les nobélisables, celui-ci apprenait avec joie, à 72 ans, cette consécration. Peu connu du grand public, ce vigneron des Pyrénées-Orientales n'en est pas moins l'un des chefs de file de l'école du nouveau roman. Rendant compte du réel par éclatements, incidences, temps brisés, restitutions de fragments préexistants, il rompt avec le moule classique du récit. Le Vent au sous-titre révélateur (« tentative de reconstitution d'un retable baroque »), la Route des Flandres, les Géorgiques constituent l'une des œuvres les plus accomplies de l'après-guerre. C'est la richesse de sa peinture de la condition humaine et l'ampleur de son inspiration que l'Académie couronne aujourd'hui. Il est ainsi mis fin à la « brouille » de 21 ans causée par Sartre entre la France et l'Académie, fondée plus sur des émotions (amour-propre et susceptibilité) que sur des certitudes (décadence de la littérature française).

Douzième prix Nobel, le nom de Claude Simon vient s'ajouter à une liste déjà prestigieuse de grands talents des lettres françaises. S'ils n'étaient pas liés par la géographie de leur naissance, il serait sans doute difficile de trouver des points communs entre Sully Prudhomme et Bergson, Mauriac et Gide ou Mistral et Camus, si ce n'est d'avoir réussi l'exploit de devenir lauréats. Tout un programme en effet puisque, une fois proposé, il s'agit d'être sélectionné sur la liste des 50 noms retenus par le Comité Nobel parmi 300 à 400 candidats, favorablement analysé par les experts rapporteurs, d'être soumis aux délibérations des « 18 » académiciens, d'y trouver le soutien de la majorité absolue et, enfin, un beau jour d'octobre, d'être élu pour « avoir produit dans le domaine littéraire l'œuvre la plus remarquable d'une tendance idéaliste ». Il ne reste plus alors qu'à attendre le 10 décembre, date anniversaire de la mort d'Alfred Nobel, pour recevoir des mains de S.M. le Roi : le diplôme, les 1,8 million de couronnes suédoises du prix et la médaille frappée à l'effigie du défunt, surnommé « le vagabond le plus riche d'Europe ».