L'année a été marquée par une production romanesque de qualité : signalons la Cité de la joie de Dominique Lapierre (Laffont), située dans un bidonville en Inde, Fortitude de Larry Collins, un épisode de la Seconde Guerre mondiale, Quartier perdu de Patrick Modiano (Gallimard), errance dans un Paris insolite, et l'Enfant de sable de Tahar Ben Jelloun (Seuil). Parmi les romans remarqués par la critique, il y eut le Vent au soir de Jean d'Ormesson et la Louve de Mervent de Michel Ragon. Enfin, De guerre lasse, de Sagan, Adieu Volodia, de Signoret, Maria, de Cavanna, et le Miroir qui revient, de Robbe-Grillet, ont été les grands succès de librairie. Pour ce qui est de l'histoire, il faut citer Henri Amouroux (Un printemps de mort et d'espoir), Max Gallo (le Grand Jaurès) et Jean Lacouture (De Gaulle, tome 2).

L'essai et le document d'actualité, sans doute stimulés par l'approche d'échéances électorales décisives, ont fait, une fois de plus, la preuve de leur vitalité. François de Closets occupe encore la toute première place avec son livre Tous ensemble. Mais un nouveau venu, Thierry Pfister, s'est taillé une place plus qu'honorable avec un livre inattendu (et indiscret) : La vie quotidienne à Matignon au temps de l'Union de la gauche.

Littérature mondiale

Le gouvernement chinois s'est élevé contre ce qu'il nomme la littérature « polluante », qui sévit, paraît-il, dans son pays : les romans pornographiques figureraient aujourd'hui en bonne place parmi les lectures favorites des Chinois. Le gouvernement, peut-être dans le souci d'enrayer cette tendance qu'il réprouve, a remis à l'honneur l'étude du philosophe Confucius, alors qu'en France La Pléiade éditait le Jin Ping Mei, célèbre roman érotique chinois très ancien, et que quatre grands poètes chinois venaient à Paris en visite quasi officielle.

L'écrivain Alexandre Soljenitsyne, prix Nobel, a demandé en juin la citoyenneté américaine. L'auteur de l'Archipel du Goulag a annoncé qu'il ne quitterait le Vermont que pour retourner en URSS, le jour où il considérerait que son pays est libre.

L'attribution du prestigieux Booker Prize à une romancière néo-zélandaise, Keri Hulme, confirme la vitalité et la possible prépondérance future de la littérature des pays du Pacifique.

De nombreux écrivains étrangers ont été traduits cette année en français : Abe Kobo, Endo Shusaku, Oé Kenzaburo, Nadine Gordimer, Thomas Bernhardt, William Golding, William Boyd, J.-G. Ballard, Lars Gustafsson, Fernando del Paso, Auguste Roa Bastos, Juan Carlos Onetti, Alfredo Bryce-Echenique, Renaldo Arenas, James Baldwin, Gore Vidal et Joyce Carol Oates, entre autres auteurs.

La publication de la Correspondance de Flannery O'Connor, du Journal de Thomas Mann, d'un classique portugais, le Crime du Padre Amaro, du livre Un monde à part de Gustav Herling, des derniers livres de Manuel Scorza et d'Italo Calvino, d'inédits de D.-H. Lawrence et de Stefan Zweig, la création enfin de la première pièce de Tony Labou Tansi ont fait figure d'événements.

1985 a vu disparaître Italo Calvino, Heinrich Böll, Elsa Morante, Carter Brown, James Hadley Chase, Jose Gomes Ferreira, Miguel Otero Silva, Denis de Rougemont, Fred Uhlman et Salvator Espriu.

Jérôme Hesse

Théâtre

Pourquoi le théâtre en 1985 aurait-il pris des risques puisque, en se reportant sagement sur les classiques, il nous a encore surpris : témoin, en février, à Nanterre la Fausse Suivante, où Chéreau révéla en Marivaux tout un théâtre de la cruauté. Poètes éternels dont nos metteurs en scène ne finissent pas de faire des re-lectures : l'émouvant Roméo et Juliette de Mesguich, à l'Athénée, en mars, fut un plaisir total, autant que fut somptueux cet autre Shakespeare de Bergman au Théâtre de l'Europe. Quant à Corneille, qu'on croyait « bon à mettre au cabinet », il nous a encore transportés avec l'Illusion comique, dans une mise en scène de Strehler ; mais il est encore trop tôt pour dire si ce Cid dont Francis Huster veut faire le Héros moderne donnera autant le plaisir de la redécouverte. Et si, en ce printemps 85, notre curiosité fut à peine piquée par un Misanthrope transporté par Engel dans des écuries à Bobigny, nous pouvons achever, cet automne, notre promenade classique en nous régalant du Pain dur, décapé au vitriol par Gildas Bourdet au Théâtre de la Ville. Avec Une station-service, actuellement dans le même lieu, il invite à se détourner des classiques pour remettre le théâtre dans les réalités du moment. Ce théâtre-là regardant la réalité d'aujourd'hui comme nous ne savons pas la voir l'érigé en absolu éternel.