Social

Le défi de l'emploi

L'explosion sociale, menace agitée rituellement par plusieurs dirigeants syndicaux, ne s'est pas produite en France en 1984 là où on l'attendait. Il n'y a pas eu de déferlement de grèves et la mobilisation des salariés est restée en deçà des calculs syndicaux.
L'explosion, elle est venue du chômage. Jusqu'alors tenue vaille que vaille, la digue a cédé et le cap des 2 500 000 chômeurs a été franchi en octobre. Elle est bien loin la promesse de Pierre Mauroy de maintenir le nombre de chômeurs à 2 millions : Laurent Fabius peut faire et refaire les comptes, il y a bien 890 000 demandeurs d'emploi de plus qu'en mai 1981.

On peut longuement épiloguer sur les responsabilités des gouvernants d'aujourd'hui ou d'hier quant à la dégradation ainsi observée. L'important est ailleurs. Quand, en 1974, on croyait que la crise ne durerait pas et que le chômage serait passager, on avait accru la protection des chômeurs en créant l'allocation spéciale d'attente, le « 90 % » des licenciés économiques. Dix ans après, la crise s'obstine, le chômage grimpe et les partenaires sociaux eux-mêmes ont dû réviser à la baisse le système d'indemnisation du chômage. Un double risque est ainsi encouru. Tout d'abord comment la protection sociale pourra-t-elle continuer à jouer un rôle d'amortisseur, comment pourra-t-elle empêcher à terme le détonateur chômage d'exploser si les garanties fondent comme neige au soleil ? En second lieu, le phénomène d'exclusion et de marginalisation s'accroît.

L'exclusion des chômeurs

Au-delà des batailles de chiffres sur « les nouveaux pauvres », il y a grosso modo 40 % des chômeurs qui ne sont pas, pour des raisons diverses et parfois compréhensibles, indemnisés. Parmi eux, plus d'un demandeur d'emploi sur deux a moins de 25 ans. Une telle exclusion sociale est lourde de conséquences, alors même que la durée du chômage s'allonge et que les licenciements économiques se multiplient au rythme de 30 000 à 40 000 par mois. Est-ce la facture sociale inéluctable des restructurations industrielles ? La modernisation industrielle, ou plus simplement l'adaptation au marché, passe souvent par des suppressions d'emplois. La difficulté là encore réside dans le fait que le traitement social de ces « dégraissages » varie suivant que l'on est dans l'automobile, dans les mines ou dans la sidérurgie...

La société doit désormais faire face à un accompagnement social des mutations à plusieurs vitesses, les salariés des petites et moyennes entreprises étant les plus mal lotis. Dans le même temps, la précarité gagne du terrain. L'emploi garanti devient une peau de chagrin : est-ce le prix à payer pour arriver à avoir en France une mobilité professionnelle et géographique plus importante ? Indéniablement, la France a navigué, tant bien que mal, entre les récifs sur le plan social en 1984. Elle en a heurté quelques-uns. Elle en a contourné d'autres. Les détours de la traversée n'ont pas toujours été négociés, le dialogue aboutissant souvent à des impasses.

Politique contractuelle

Pourtant, il serait inexact de dire que le dialogue social est moribond en France. L'obligation annuelle de négocier les salaires réels et les effectifs aidant, on a beaucoup dialogué en 1984 et à tous les niveaux. Mais on a de plus en plus de mal à se comprendre et à s'entendre. La politique contractuelle marque le pas, en particulier dans le secteur public. Il ne s'agit plus de partager équitablement les fruits de la croissance, mais plutôt de faire avaler aux syndicats la pilule amère de l'austérité. Rien d'étonnant donc à ce que le dialogue soit souvent apparu bloqué, la fonction publique ayant à cet égard donné l'exemple de la difficulté de s'entendre quand la rigueur salariale devient trop pesante.

Les syndicats se sont trouvés d'autant plus désorientés par cette anémie de la politique contractuelle qu'ils ont eu le sentiment que le gouvernement avait du mal à se doter d'une nouvelle ambition sociale, en ces temps de rigueur accrue. Avec Laurent Fabius, ce n'est plus la musique des 35 heures en 1985, de la réduction des inégalités et des grandes réformes sociales, mais le refrain, moins agréable à entendre, de la modernisation des rapports sociaux. La politique sociale est redevenue un instrument parmi d'autres, un moyen pour accompagner en douceur des mutations souvent douloureuses.