JO été

Carl Lewis rejoint Jesse Owens

Comme prévu, Carl Lewis devient le roi des Jeux. Le jeune Noir américain de 23 ans enlève quatre médailles d'or, remportant le 100 m en 9″ 99, le saut en longueur avec un bond de 8,54 m, le 200 m en 19″ 80 et enfin le relais 4 × 100 m, avec ses compatriotes Sam Graddy, Ron Brown et Calvin Smith, en 37″ 83, nouveau record du monde. Carl Lewis rejoint ainsi dans la légende le grand Jesse Owens, qui avait rapporté quatre médailles d'or de Berlin, où se déroulaient les Jeux de 1936.

L'authentique exploit de Lewis à Los Angeles ne fait pourtant pas passer sur le stade olympique du Coliseum le frisson des grands moments de la geste sportive. Sans doute parce que cette exceptionnelle chasse aux trophées a été banalisée à force d'être programmée et annoncée. Carl Lewis n'a pas raté son rendez-vous avec la gloire, mais il a manqué son rendez-vous avec l'émotion. En tout et pour tout, il aura passé moins de trois minutes sur le stade pour enlever ses quatre médailles d'or, paraissant beaucoup plus calculer son effort, économiser ses forces avec une froide application que participer à la grande fête olympique. Cette image de champion solitaire obsédé par son pari personnel, disputant ses propres jeux dans les Jeux, laisse malgré tout un goût d'inachevé.

D'une manière générale d'ailleurs, le triomphe appuyé des sportifs américains sur les sites olympiques de Los Angeles est ressenti avec une pointe d'agacement par les observateurs étrangers. Jeux de l'Amérique pour l'Amérique. Le reste du monde compte les médailles sur fond de bannière étoilée. Et elles sont nombreuses : 174 pour les sportifs américains dont 83 d'or. Ce bilan flatteur est largement exploité par les médias, rappelant volontiers qu'il reste bien supérieur à celui des Soviétiques à Moscou en 1980. À distance, malgré le boycott de l'URSS et de la grande majorité des pays socialistes, le duel a tout de même eu lieu. Face à cette Amérique reaganienne qui se reforge un orgueil national sur tous les terrains, y compris sur celui du sport, la lutte est bien inégale. La Roumanie, un des deux pays socialistes, avec la Yougoslavie, à avoir fait le voyage à Los Angeles, prend une méritoire deuxième place avec 53 médailles (dont 20 d'or) devant l'Allemagne de l'Ouest, 59 médailles (dont 17 d'or), et la Chine, 32 médailles (dont 15 d'or).

Seuls des champions d'exception peuvent rivaliser et battre dans le concert olympique des Américains exceptionnellement bien préparés. C'est le cas de l'Allemand de l'Ouest Michael Gross, ce nageur géant surnommé l'Albatros en raison de ses bras de 2,28 m d'envergure. Gross, âgé de 20 ans, enlève deux médailles d'or (200 m nage libre et 100 m papillon), battant le record du monde dans ces deux spécialités, et deux médailles d'argent (200 m papillon et 4 × 200 m nage libre).

Alex Bauman, le nageur canadien vainqueur des 200 et 400 m 4 nages, était de ces invincibles. Comme Daley Thompson, le décathlonien britannique déjà victorieux à Moscou, champion d'Europe à Athènes et champion du monde à Helsinki, ou Yusuhiro Yamashita, le judoka japonais vainqueur en toutes catégories.

Mais les Américains survoltés parviennent à effectuer une percée dans des domaines réserves jusque-là à la vieille Europe. Ils enlèvent en cyclisme la moitié des médailles d'or mises en jeu, grâce à Connie Carpenter Phinney, dans la course sur route dames, Alexis Grewal, dans la compétition sur route messieurs, Mark Gorski, en vitesse sur piste, et Steve Hegg, en poursuite individuelle. L'équipe masculine de gymnastique obtient un surprenant triomphe sur les Chinois. Chez les filles, la petite bombe Mary Lou Retton passe au rang de star en enlevant le duel qui l'oppose, dans le concours individuel, à la Roumaine Ekaterina Szabo.

La Chine effectue une rentrée remarquée dans le giron des compétitions olympiques en enlevant 15 médailles d'or dont la première des Jeux de Los Angeles grâce à la victoire de Hai Feng Xu au pistolet.

Les jeux de la XXIIIe Olympiade marquent aussi une étape importante pour le développement des compétitions féminines : premier marathon, premier 3 000 m, premier 400 m haies. En tout, neuf disciplines nouvelles passent avec succès leur certificat olympique. Les plus émouvantes victoires restent celles de l'Américaine Valérie Brisco-Hooks sur 400 et 200 m et de la Marocaine Nawal El-Moutawakil, première médaille d'or africaine de l'histoire.