Journal de l'année Édition 1985 1985Éd. 1985

La griffe d'Hollywood sur les Jeux

Michel Desfontaines

L'Amérique fait bien les choses en ce samedi 28 juillet 1984, alors que deux milliards et demi de téléspectateurs se branchent en direct sur le stade du Coliseum de Los Angeles, où près de 90 000 personnes ont pris place pour assister à la cérémonie d'ouverture des Jeux de la XXIIIe olympiade. David Walper, un producteur de cinéma et de télévision de 56 ans, orchestre un show à couper le souffle, sous le regard de Ronald Reagan, président des États-Unis d'Amérique perché au-dessus de la foule dans une cage de verre.

La super-production « made in Hollywood », menée tambour battant sans une fausse note, alterne les grands chocs visuels et les moments d'émotion tempérée.

Le marathon en son et couleur prépare l'irruption de la torche olympique portée par la petite-fille du grand Jesse Owens et l'embrasement de la flamme par le décathlonien noir Rafer Johnson. Edwin Moses, ému, tombe en panne de mémoire en prêtant le serment olympique.

Ce coup d'envoi de la quinzaine californienne fait soudain basculer les Jeux de la tension à un fragile état de grâce. On oublierait presque le boycott de l'Union soviétique et de l'immense majorité des pays socialistes, parmi lesquels cette grande puissance des stades qu'est la petite RDA avec ses 17 millions de citoyens athlètes.

On oublie presque le déploiement, il est vrai discret, de 17 000 hommes des services de sécurité, chargés de protéger 8 000 participants. On oublie le savant business méticuleusement monté par Peter Ueberroth, le président du comité d'organisation (LAOOC), pour faire de ces Jeux les premiers Jeux à capitaux exclusivement privés qui ne coûteront pas un centime au contribuable américain.

On oublie que, depuis les poings levés sur les podiums de Mexico en 1968, depuis, surtout, le drame des otages israéliens de Munich en 1972, la trêve olympique a de plus en plus de mal à sauver les apparences. On oublie que l'Afrique a boudé Montréal en 1976. Que les États-Unis, l'Allemagne de l'Ouest et le Japon, entre autres, ont tourné le dos à Moscou en 1980. Que les pays socialistes organisent, chez eux, des Jeux de substitution pour tempérer la déception de leurs champions. Et que des nuages s'amoncellent dans le ciel de Séoul en Corée, prochaine étape des compétitions olympiques en 1988.

On oublie même parfois que l'Amérique compte trop triomphalement ses médailles et se drape, un rien provocante, dans les plis de son drapeau, la bannière étoilée. Qu'à travers les Jeux de Los Angeles, ses Jeux, elle ne peut s'empêcher de relever à distance un défi de plus contre l'URSS, la grande absente.

On oublie.

Carl Lewis empile, presque désinvolte, ses quatre médailles d'or. Mary Lou Retton, la poupée de muscles, explose sur sa poutre de gymnaste. Joe Fargis, sur sa jument Touch of Class, vole au-dessus des obstacles du jumping. Pierre Quinon plie sa perche. Nawal El-Moutawakil, la petite Marocaine, pleure sur sa médaille, la première médaille d'or d'une femme d'Afrique. Valerie Brisco-Hooks, la sprinteuse américaine, court et gagne au nom de son frère tué d'une balle sur une piste d'athlétisme. Michèle Chardonnet fond en larmes au pied du podium que lui refusent les juges et patiente trois mois pour recevoir la médaille de bronze du 100 m haies. On oublie. Car les absents, une fois de plus, ont eu tort. Il n'y a pas de médailles olympiques au rabais.

L'équipe de France de football, elle aussi, fait bien les choses en cette année 1984. Dans le sillage de Michel Platini, considéré comme le meilleur joueur du monde, elle collectionne les victoires. Douze succès en douze matches.

Elle domine toutes les grandes équipes des vieux continents qui lui sont opposées. Elle est sacrée championne d'Europe des nations. Le premier titre de l'histoire du football français, auquel une autre équipe, celle d'Albert Rust, vient ajouter à Los Angeles le titre de championne olympique. Cette trajectoire sans faute doit beaucoup à l'épanouissement d'une génération de joueurs exceptionnels, comme Michel Platini, Alain Giresse, Maxime Bossis. Elle doit aussi à la tranquille habileté de Michel Hidalgo, sélectionneur et entraîneur, et à un effort soutenu de la Fédération française de football (FFF), dirigée par Fernand Sastre. Cette politique de longue haleine fait progresser la qualité du jeu dans les clubs. L'année 1984 ouvre également une période de grand changement, puisque Michel Hidalgo et Fernand Sastre abandonnent leurs postes en pleine gloire.