Extrême-Orient

Un nouveau grand bond en avant de la Chine, vers le capitalisme cette fois, ou peut-être vers l'inconnu, figure au premier plan des événements. Tout en affirmant sa fidélité au marxisme, le gouvernement de Pékin se lance dans l'économie de marché. La réforme de l'économie chinoise, si elle n'est pas sabotée par la bureaucratie, est sans doute la plus audacieuse jamais tentée dans un pays socialiste.

Pacifique : le nouveau monde

Adoptée par le 3e plénum du comité central le 20 octobre, la réforme est une véritable révolution dans la révolution. Un million d'entreprises sont livrées progressivement aux lois de la concurrence pour devenir « indépendantes et responsables de leurs profits et pertes ». Théoriquement, l'État doit abandonner son contrôle sur les sociétés, à l'exception de secteurs clefs comme l'énergie, la sidérurgie et la banque. Il ne fixera plus que les prix de quelques denrées de base.

« On brise le bol de riz en fer, on travaille maintenant dans la porcelaine » : ce commentaire d'un ouvrier pékinois illustre la fin d'une époque où les salariés étaient assurés, quel que soit leur travail, d'un revenu, même très modeste, mais garanti. De nombreux prix n'avaient pas bougé depuis les années 50, l'État engloutissait chaque année 40 % de ses revenus dans les subventions. La libération des prix, l'incitation officielle à l'enrichissement, la distribution des revenus selon les résultats du travail et la qualification, la « responsabilisation » des dirigeants d'entreprise, le champ ouvert à l'initiative et à l'imagination vont briser l'ossature centralisée de type soviétique dont avait été dotée la Chine en 1949.

On peut faire confiance au génie chinois pour développer de manière fructueuse le secteur qui a le plus de chances de profiter des réformes, celui des services, de l'artisanat et du commerce, qui absorberaient une partie des chômeurs issus des entreprises incapables de rester dans la course. Mais il faut s'attendre à une résistance plus ou moins passive des communistes orthodoxes et de l'immense armée des cadres installés dans leurs fiefs régionaux ou administratifs.

Technologie : le rush

Ces changements se doublent d'une politique d'ouverture vers l'étranger, essentiellement les États-Unis, le Japon et l'Europe de l'Ouest, destinée à acquérir le plus vite possible, et aux moindres frais, la technologie moderne. Plus de 30 000 Chinois sont allés étudier à l'étranger depuis 1978, dont les deux tiers aux États-Unis.

La Chine bascule-t-elle vers le capitalisme et vers la démocratie ? La situation semble plutôt définie par la formule du vieil économiste Chen Yun, membre du bureau politique : le système doit s'apparenter à une « cage où les oiseaux volent librement ».

Pékin a peut-être été encouragé par le dynamisme et la réussite des pays et territoires capitalistes qui entourent la Chine. Corée du Sud, Japon, Taiwan, Hongkong, Singapour : un monde aussi vieux que Confucius, qui revêt aujourd'hui des allures de nouveau monde sous l'étiquette en vogue de « bassin du Pacifique ». C'est le peloton de tête de l'économie mondiale, où les taux de croissance du PNB, bien supérieurs à ceux de l'Europe, vont de 5 à 11 % pour cette année. Le Japon, par exemple, a connu sa croissance la plus rapide depuis 1979, avec 5,3 %.

Le boom de l'Extrême-Orient est dû dans une large mesure à la reprise américaine. Les échanges des États-Unis avec la zone Pacifique sont aujourd'hui plus importants que le commerce transatlantique. Plus de la moitié des exportations de Taiwan, plus de 40 % de celles de la Corée du Sud vont vers les États-Unis. Au Japon, l'augmentation des exportations cette année est due à 70 % au marché américain. Revers inévitable de la médaille pour des pays dont l'économie repose essentiellement sur le commerce extérieur (surtout électronique et textile) : il leur sera difficile, en 1985, de compenser le manque à gagner dû au tassement prévu de l'économie américaine.

Les pays qui continuent d'adhérer au marxisme orthodoxe demeurent en marge de l'essor régional. Le Viêt-nam, entraînant ses protégés, le Laos et le Cambodge, se maintient dans l'orbite soviétique, malgré des réformes rurales ressemblant à celles qui ont réussi en Chine. De même pour la Corée du Nord, qui tente pourtant d'attirer des capitaux occidentaux et d'amorcer une coopération économique avec le Sud.