La confiance quand même

Les feux de la culture, les réussites artistiques, la richesse de la vie littéraire et des débats, l'engouement des publics pour les manifestations, expositions et créations ont été particulièrement éclatants en 1983. Mais, tel Janus, les œuvres de l'esprit ont un second visage : le pouvoir des sciences, qui ont fait reculer cette année encore les limites de la connaissance et la conquête des espaces, se conjugue désormais avec l'essor rapide des nouvelles technologies, celles notamment de l'image et de la communication. C'est le signe que le monde n'est pas autant frappé d'atome qu'on veut bien le dire. C'est aussi l'annonce que les sociétés ne manqueront pas d'être sensiblement transformées par toutes ces mutations, comme l'indiquent les nouveaux comportements et les nouvelles tendances de cette année.

Surprenant : les Européens gardent confiance

La « crise » dont on parle tant et qui n'est sans doute qu'une perception inquiète d'une accélération du changement, cette crise donc doit être relativisée. Les valeurs les plus traditionnelles continuent de se bien porter, comme le souligne le rapport général publié par un spécialiste des études d'opinion, le professeur Jean Stœzel, à l'issue d'une enquête conduite dans neuf pays par le Groupe européen d'études des systèmes de valeurs.

La personne humaine, le travail, la famille — institution à laquelle on demeure le plus fidèle — demeurent les références essentielles dans la radiographie des mentalités. La permissivité des mœurs, qui semble moins étendue qu'on ne le croit, a toutefois élargi son domaine et progressé dans les modes de vie. Et, si la spiritualité demeure un besoin, elle continue aussi de se démarquer des temporalités religieuses. Toutes les institutions ne font cependant pas un aussi bon score. Il en est qui perdent du terrain : c'est le cas pour le Parlement, sans doute identifié à la politique, à laquelle on s'intéresse moins ou peu ; pour l'administration, assimilée peut-être à une bureaucratie pesante, et surtout pour la presse et les syndicats — particulièrement contestés.

Des vues catastrophiques, on en chercherait vainement

Les Occidentaux redoutent moins la guerre que le chômage, mais une infime minorité se révèle favorable à l'idée d'« obtenir et de maintenir une supériorité nucléaire sur l'URSS ». Le recul des attitudes antimilitaristes se confirme : les Français, les plus jeunes Français, se réconcilient avec leur armée, qu'ils estiment capable d'assurer la sécurité du pays. Quant aux privilèges, dont la course effrénée avait été débusquée par François de Closets, un sondage de 1983 indique qu'ils ne sont pas le monopole des plus gros revenus mais aussi celui de certaines classes moyennes : ainsi l'héritage est considéré comme « un droit normal » par six Français sur dix. Même l'État-nation se porte bien. « Derrière l'écran des luttes partisanes redoublées, derrière les antagonismes de classes, de castes et de corporations, un consensus de fond progresse dans les consciences », estime Alain Duhamel en commentant dans le Monde un sondage Sofres-l'Expansion. Ni extrémistes ni radicaux, les Français veulent être, avant tout, de bons citoyens ; ils reconnaissent l'existence de groupes sociaux différents, mais, dans le même temps, ils estiment pouvoir sans affrontements gommer les inégalités, effacer les frontières et rejoindre, quand ce n'est pas encore le cas, la classe moyenne. Même les déçus font contre mauvaise fortune bon cœur ; ils s'adaptent, au prix de restrictions qui touchent particulièrement les vacances et les loisirs, l'habillement, l'équipement ménager mais aussi les dépenses pour les enfants : seules, les restrictions sur les soins médicaux se stabilisent. Ils s'adaptent encore en adoptant des comportements, des modes de vie, des formes d'organisation qui indiquent une remise en question et une évolution, sans doute profonde, des relations entre les loisirs et le travail, la consommation et l'épargne, l'éducation et la formation, les contraintes et l'hédonisme. Ce changement des mentalités souligne une perception sensible des limites de l'État providence, un glissement du salariat à des formes d'entreprise, une hésitation entre un courant réclamant plus de prise en charge sociale et plus de sécurité et un autre courant conduisant à se placer aux lisières de la société pour se replier, se refermer sur son propre univers et les valeurs personnelles.

Trois phénomènes de société

Les faits sont têtus ; les effets sont souvent inattendus et pervers : les sociétés ont appris, en 1983, plus encore qu'auparavant, à se rendre compte que l'action politique peut ne pas correspondre à ce que l'on en attendait. Toutefois, l'année a bien manifesté cette « alliance de l'intelligence et du travail » que célébrait François Mitterrand, en fêtant le raccordement du vingt-millionième abonné au téléphone. Et « cette révolution de l'intelligence », cette primauté donnée à la création s'est accompagnée de trois phénomènes de société.