Yvonne Rebeyrol

Physique

Les weakons débusqués au CERN

En contraste avec d'autres institutions européennes, le CERN (Conseil européen pour la recherche nucléaire), avec son laboratoire européen pour la physique des particules, continue à faire preuve de vitalité. Il la doit à des statuts qui le préservent de l'âpre concurrence d'intérêts industriels dont les effets négatifs apparaissent dans d'autres organismes internationaux, ainsi qu'à la fermeté avec laquelle il sait obtenir des gouvernements, en dépit de la conjoncture économique, les crédits exigés par une recherche fondamentale dont on n'attend pourtant guère d'applications pratiques.

Les équipes internationales qui travaillent au laboratoire de Genève-Meyrin ont réussi à mettre en évidence, dans les premiers mois de l'année, les particules dites bosons W et Z, ou encore weakons (de weak, faible), qui sont les vecteurs de la force appelée faible, une des quatre forces fondamentales reconnues dans la nature, les autres étant la force électromagnétique, la force dite forte et la gravitation.

Vecteurs

Pour les physiciens, chacune de ces forces est représentée comme agissant sur les particules élémentaires par l'intermédiaire d'une particule spéciale, un vecteur, qu'on nomme aussi quantum parce qu'il transporte une quantité d'énergie bien définie. Le quantum de la force électromagnétique est le grain de lumière, le photon ; les interactions entre particules porteuses d'une charge électrique sont décrites comme des échanges de photons. Le graviton, qui serait le quantum de la gravitation, n'a pu encore être détecté, non plus que le gluon, quantum de la force dite forte, qui assure la cohésion des composants du noyau atomique. Pour la force faible, qui intervient dans des phénomènes de radioactivité, la théorie prévoyait trois bosons intermédiaires : le W+, porteur d'une charge positive ; son antiparticule le W, de charge négative ; le Z0, électriquement neutre. Boson est l'appellation générique de toutes les particules dont le mouvement de rotation sur elles-mêmes, le spin, est défini par un nombre entier ; ce qui est le cas des vecteurs des forces fondamentales.

Une des prédictions de la théorie électrofaible, proposée vers 1965 pour unifier les forces électromagnétique et faible, assignait une masse précise aux weakons (encore à découvrir) : 83 GeV pour les W et 94 GeV pour le Z. Le GeV (gigaélectronvolt ou milliard d'électronvolts) est une unité d'énergie ; en vertu du principe relativiste d'équivalence de la masse et de l'énergie, la masse des particules est souvent exprimée en eV et multiples de eV. Celle du proton est voisine de 1 GeV.

Collisions

La durée de vie des weakons est courte : la dix-millionième partie d'un milliardième de milliardième de seconde. On ne peut les observer directement : on sait qu'ils existent (ou plutôt qu'ils ont existé) quand on a identifié les produits, moins instables, de leur désintégration. Pour cela, il faut les fabriquer en laboratoire, en dehors des phénomènes radioactifs (comme la désintégration spontanée du neutron) au cours desquels on n'a pas moyen de les détecter. Les weakons sont aussi des particules très lourdes. On ne peut les obtenir qu'en matérialisant l'énergie libérée par la collision de particules banales, des protons par exemple.

Avec les accélérateurs actuels, le bombardement des cibles fixes par des particules accélérées ne suffit pas : la plus grande partie de l'énergie de la collision est emportée sous forme d'énergie cinétique par les produits secondaires issus du choc. Mais, si deux particules lancées en sens opposé avec la même énergie se heurtent, la quasi-totalité de l'énergie engendrée par la collision est disponible pour se transformer en masse. Dans le grand synchrotron à protons du CERN, aménagé en collisionneur, des faisceaux de protons et des faisceaux d'antiprotons sont accélérés jusqu'à dégager des énergies de collision de 720 GeV. Comme les protons et les antiprotons sont de même masse mais de charge opposée, les champs magnétiques de la machine leur communiquent la même énergie mais les font tourner en sens contraire. Les résultats des collisions sont enregistrés par des détecteurs.